Intervention de Ronan Dantec, au nom du groupe écologiste, lors de la discussion générale du Projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Monsieur le rapporteur, Madame la présidente de la délégation aux collectivités territoriales, Monsieur le président de la Commission spéciale, Chers collègues,
Après un rejet en commission, un renvoi devant le Conseil constitutionnel, une motion référendaire, voilà donc un texte retardé, un texte critiqué, un texte malmené, mais surtout un texte totalement identique à sa première version, examinée en Commission par le Sénat, il y a maintenant huit jours. Beaucoup d’énergie donc pour un bien faible résultat.
J’avoue ma perplexité devant ces tentatives un peu dilatoires, peu constructives, en ayant toujours en tête l’article 24 de la Constitution qui confie expressément au Sénat la représentation des collectivités territoriales.
J’espère, et le travail ce matin en commission m’a rendu une part de mon optimisme naturel (sans nier la vigueur des divergences), que le Sénat ne s’enfermera pas dans une opposition stérile, car un Sénat qui ne peut représenter les collectivités qu’en disant NON à toute réforme territoriale, cela fait désordre et cela appelle quasiment à sa propre réforme, je me devais de le souligner.
Le groupe écologiste est critique, vous le savez M. le ministre, sur ce texte et sur la méthode employée par le gouvernement, j’y reviendrai, mais je veux d’abord exposer ce qui nous amène à considérer que cette séquence législative porte des évolutions positives et nécessaires, ce qui justifie de débattre de ce texte sur le fond, en y apportant un certain nombre d’améliorations, et en souhaitant sans ambiguïté qu’il soit au final adopté, c’est la position claire du groupe écologiste.
Notre vision de ce projet de loi est une vision d’ensemble, celle d’un ensemble de plusieurs lois, dont un
premier volet était constitué par la loi sur les métropoles, et un peu déjà sur les régions, adoptée l’an dernier. Le Président de la République avait exprimé sa volonté de réaliser un « Acte 3 de la décentralisation ». Cet Acte 3, les écologistes en défendent le principe. Avec le nouveau projet de loi de Madame Lebranchu – que nous aurions préféré examiner en premier, ce qui aurait éclairé différemment le débat – c’est la première fois qu’on se trouve face à un texte aussi clair sur l’organisation institutionnelle de la France qui corresponde à ce que les écologistes demandent depuis toujours, et parfois en se sentant un peu seuls : à savoir une décentralisation fondée sur le couple socle des territoires de vie d’aujourd’hui : le couple intercommunalités / régions. Dans ce projet de loi, les intercommunalités, qui correspondent à la réalité des bassins de vie quotidienne d’aujourd’hui, se voient confier les compétences opérationnelles et de services publics de proximité. Les régions, territoires fondés parfois sur la culture et l’histoire, ce qui est une chance, mais aussi sur les dynamiques et les échanges réguliers des réseaux d’acteurs, se retrouvent avec la responsabilité lourde et essentielle des stratégies d’aménagement durable et de développement économique des territoires, déclinée – c’est l’essentiel – en schémas prescriptifs permettant enfin une véritable cohérence des politiques locales, entre tous les niveaux de collectivités. Et j’ai noté dans l’intervention de M. le ministre, la mention du rôle-clé demain des régions dans la transition énergétique, analyse que je partage.
Les écologistes ont toujours défendu cette vision de la décentralisation qui jusqu’à aujourd’hui n’était guère partagée. Elle n’est pas dogmatique, elle est mue par la volonté de construction d’une régionalisation rompant avec des siècles d’un centralisme qui montre aujourd’hui, encore plus qu’hier, ses limites. Cette vision de la décentralisation est d’abord liée à notre analyse des fractures territoriales qui s’aggravent et ne seront pas réduites par le statu quo et le repli sur les gouvernances d’hier.
Bien sûr, nous avons dans nos communes périurbaines, rurales ou de banlieues, des élus dévoués qui sont le rempart démocratique, parfois le dernier rempart, au repli sur soi, aux tentations de céder aux sirènes des populismes protestataires. Leur travail est essentiel pour maintenir une cohésion sociale que détricote chaque jour la montée des inégalités et des exclusions. Et évidemment, nous avons aussi des élus départementaux attentifs à défendre leurs territoires, à répondre aux souffrances individuelles et collectives.
Mais, ces élus ont-ils aujourd’hui les moyens réels de leur action si elle ne s’inscrit pas dans une péréquation financière qui nécessite de construire de nouveaux espaces politiques d’intervention rassemblant des territoires en dynamique économique avec des territoires plus en difficulté ? Peuvent-ils accompagner de nouveaux secteurs économiques créateurs d’emplois, garantir des services publics de proximité, s’ils ne peuvent s’appuyer sur des planifications, des stratégies discutées collectivement, et financées tout aussi collectivement ? Notre question aujourd’hui n’est pas la libre administration des collectivités, car elles sont parfois seulement libres de gérer des difficultés car elles n’ont pas suffisamment de moyens d’intervention et de capacités pour susciter de nouvelles solidarités et de nouvelles interactions territoriales. Elles ne peuvent donc au final pas réduire cette fracture territoriale qui s’aggrave. C’est là notre urgence, cette réforme s’inscrit dans ce cadre, et je rejoins sur ce point votre propos M. le ministre. Même si toute réforme de ce type ne va pas sans heurts, sans susciter des craintes, souvent légitimes, oui – je le redis – ne pas tenter cette remise à plat de nos modes d’intervention, c’était se résigner à l’affaiblissement, voire la marginalisation des territoires les moins bien dotés, et cette réforme me semble ici bienvenue, tout en étant quand même aussi lucide sur les faiblesses du processus proposé.
Ce texte pose en effet plusieurs problèmes et la méthode du gouvernement dans ces derniers mois ne nous semble pas avoir été la plus adéquate.
Il y a une incohérence, n’ayons pas peur de le dire, à se prononcer d’abord sur une carte, et ensuite sur les compétences qui seront données aux territoires redéfinis. Une inversion était plus que souhaitable, le débat aurait gagné en sérénité, et je suis convaincu qu’une meilleure compréhension des nouveaux outils de la planification économique régionale prévus par cette loi, aurait conforté les désirs de fusion. L’autre erreur est bien évidemment dans la publication de cette nouvelle carte, qui n’illustre guère de manière incontestable cette recherche d’un nouvel équilibre territorial, fondé à la fois sur les potentiels économiques, universitaires et urbains, et les traditions de coopération, les solidarités culturelles et historiques. Ces erreurs ne sont pas sans raison dans la perception d’une réforme plus combattue que débattue, et nous le regrettons profondément.
Le gouvernement a pris la responsabilité d’une révision de la carte des régions à la va-vite, sans avoir écouté les acteurs des territoires, leurs volontés de projets et de destins communs, sans avoir pris en compte les spécificités des régions, façonnées par l’histoire, les cultures ou la géographie et la valse-hésitation des dernières heures, avec des mariages annoncés puis défaits, n’a pu que dérouter jusqu’aux plus ardents défenseurs de la réforme. Probablement aussi, le refus d’entrer dans une logique autre que la fusion de régions a fragilisé l’édifice, plus qu’il ne l’a conforté. La peur d’ouvrir ce qui pouvait apparaître comme la boîte de Pandore de l’auto-détermination départementale, a finalement créé des tensions non nécessaires, que ces soupapes auraient permis de canaliser.
Monsieur le ministre, nous considérons qu’il faut du temps pour qu’une telle réforme puisse être partagée et soutenue par la population et les acteurs des territoires. Quelle est cette urgence absolue qui nous impose de boucler cette réforme de la carte des régions avant le week-end ? Sans remettre en cause les contraintes, y compris peut-être constitutionnelles, nous avons encore du temps, prenons ce temps, écrivons une méthode. Je suis convaincu que les évolutions qui semblent impossibles aujourd’hui peuvent devenir possibles aux termes d’un débat de qualité ici au Parlement, et surtout dans les régions. Si je regarde la rapidité d’évolution entre Bretagne et Pays de la Loire, je note que le temps des postures semble s’achever au profit d’approches plus ouvertes, où la population s’invite par sondage, faute de débat public construit, mais elle se fait quand même entendre. Redonner du temps, c’est le sens de notre premier amendement qui propose de remplacer la carte du gouvernement par une méthode, fondée sur l’instauration d’un véritable débat dans les territoires, dans un temps contraint mais pas irréaliste. Nous soutiendrons donc le renvoi à l’automne de la finalisation de la carte, c’est un temps nécessaire, et la nécessité de donner du temps au temps pour aboutir à une réforme ambitieuse est assez largement partagée ici me semble-t-il.
Il faut des mécanismes d’assouplissement de cette carte pour qu’elle réponde à la complexité des situations : la diversité de nos territoires ne permet pas de calquer la même formule de redécoupage sur l’ensemble du pays. Il faut par exemple, et je pense que nous évoluons sur ce point, un droit d’option des départements pour rééquilibrer certaines fusions, et nous avons sur ce point bien avancé ce matin en commission, j’en remercie notamment le président Mézard. Nous soutiendrons la suppression des référendums actuellement obligatoires pour entériner les processus de redécoupages, quand ils sont l’objet de consensus entre les élus concernés. Il y a, me semble-t-il un relatif accord sur ce point entre les différents groupes politiques. Je rappelle que les référendums obligatoires ont été introduits au Sénat, non pas dans un élan irrépressible en faveur de la démocratie directe mais précisément pour empêcher toute évolution des limites territoriales, c’est ce qui a empêché la création d’une collectivité unique Alsacienne, voulue par une majorité des habitants. La souplesse est rarement un handicap, surtout quand il faut réussir des réformes aussi acrobatiques.
Sur les départements : la loi ne les supprime pas, elle dit qu’après-demain, je la cite, « de façon apaisée », on discutera de leur disparition. Pour l’instant, ils gardent leurs compétences sur l’action sociale, l’égalité d’accès aux services publics, l’égalité territoriale, une compétence partagée sur le sport, la culture, le tourisme. Quitte à m’éloigner en apparence, mais en apparence seulement, de la doxa de mon propre groupe politique, je crois qu’ils peuvent au contraire aider à la réussite de cette réforme, apporter des réponses spécifiques répondant à la diversité de nos territoires. Ils restent un échelon infrarégional qui peut garder une justification pour des secteurs ruraux évidemment, mais aussi des compétences particulières, pour des expérimentations. Plutôt que de perdre un après-midi hier, pour rien, si ce n’est de dire qu’on s’est bien battu et qu’on est contre cette réforme, si nous avions gardé cette journée pour débattre sur le fond de cette place demain dans certains territoires, mais pas non plus obligatoirement partout, d’échelons infrarégionaux dynamiques que la Constitution nomme départements, échelons aux compétences claires, afin de ne pas retomber dans le travers des compétences croisées, je pense que nous aurions été plus productifs, et plus dans le rôle du Sénat. Je répondrai même à mon ami Michel Delebarre, qui ironise parfois sur les propositions des écologistes, en avance ou en retard sur leur temps, qu’il y a là peut-être comme un parfum de bicaméralisme, entre un conseil régional au suffrage direct, et une sorte de chambre des territoires. Donc, si nous pouvions éviter de crisper nos débats sur leur disparition, qui n’est pas prévue dans ces deux textes de loi, il me semble que la qualité de nos échanges s’en trouverait améliorée.
Dernier point : Cette réforme n’a de sens que si elle est accompagnée d’un véritable processus démocratique. On m’a parfois opposé en commission que nos propositions sur le sujet étaient hors de propos et qu’il valait donc mieux les renvoyer à plus tard. Mes chers collègues, on a déjà voté une loi sur les métropoles en 2013, on a un projet de loi sur les compétences qui va arriver, et cette loi en débat ce jour. On ne va pas refaire une quatrième loi pour y insérer un nouveau volet démocratique. Monsieur le Ministre, il manque indéniablement tout un volet démocratique dans ce projet de loi. Nous nous sommes vraiment limités aux points les plus importants dans le dépôt de la série d’amendements sur le sujet. L’instauration du scrutin universel direct à la proportionnelle dans les intercommunalités est essentiel. L’accroissement des responsabilités de ces instances sur la vie quotidienne des citoyens doit nécessairement s’accompagner de cette évolution démocratique.
Nous mettons d’autres propositions en débat : la parlementarisation des Assemblées régionales avec notamment la séparation de l’exécutif et du délibératif, l’évolution de la composition et du rôle des CESER, j’ai d’ailleurs été surpris du manque d’enthousiasme de mes collègues sur ce point, alors que l’avis de la société civile est important, les rapports entre l’Etat, les collectivités locales et les préfets, le renforcement du droit de pétition local, la progression de la réflexion sur un possible système bicaméral régional : toutes ces propositions nous semblent complètement dans le sujet de la loi en cours.
Enfin, et on trouvera sur ce dernier point peut-être plus de consensus : il ne peut y avoir de renouveau démocratique sans une alliance dynamique entre démocratie participative et démocratie représentative. Car le renforcement de la démocratie passe par des élus présents sur les territoires dans les lycées et les multiples lieux de co-élaboration permanente du projet territorial avec les acteurs locaux et les citoyens. Or, l’article 6 du projet de loi, en plafonnant à 150 membres les effectifs des conseils régionaux, représente un véritable recul pour certaines régions telles que l’Ile de France. Un conseil régional c’est beaucoup de représentations. C’est déjà des agendas impossibles, pour les élus présents dans les lycées, et demain dans les collèges (qui seront transférés aux régions). Nous avons déposé un amendement afin de maintenir le nombre actuel d’élus. Il serait en effet paradoxal que nous baissions le nombre d’élus alors que les compétences des régions augmentent, et que nous insistons tous sur le renforcement de la proximité : plus de décisions par moins d’élus, c’est une équation impossible, et loin du populisme facile du « trop d’élus », nous considérons au contraire qu’un réseau dense d’élus régionaux, est une clé de la réussite de cette réforme.
Renforcer les collectivités locales doit se faire nécessairement avec un renouveau de la démocratie locale. C’est aussi comme ça que nous ferons reculer les replis et le sentiment diffus de relégation qui mine notre pays. Donnons plus de pouvoir aux citoyens, donnons plus de pouvoir aux élus locaux et régionaux, ils l’investiront au service de leurs territoires.