4 décembre 2013. « C’est écotaxe ou impot » : Interview de Ronan Dantec dans la Voix des Allobroges sur son rapport sénatorial transports routiers / taxe poids lourds

Face à la charge des bonnets rouges et la reculade du Gouvernement, Ronan Dantec rame à contre-courant pour sauver l’écotaxe. Interview de ce sénateur qui a au moins le mérite de tenir son cap écologiste (en ligne ici).

Sera-t-il le Breton qui apaisera les bonnets rouges ? Ronan Dantec, sénateur écologiste natif de Brest et élu de Nantes, a en tout cas entrepris de sauver la taxe qui a mis sa région en grande colère. Vice-président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, bref, des routes, c’est en tant que rapporteur au Sénat de la loi de finances concernant ces dernières qu’il s’est attelé à comprendre ce qui clochait avec la désormais fameuse écotaxe. En écoutant d’abord ceux qui se sont mobilisés contre la taxe de trop. Et aujourd’hui, son rapport propose des solutions pour amender cette mesure ayant tant fait rager, symbole d’une exaspération qui monte et se déchaine sur les portiques. Prenant acte d’un système qui s’est révélé injuste, Ronan Dantec réaffirme néanmoins la nécessité d’une transition écologique financée par une taxe qui ne doit pas s’ajouter à l’impôt, mais s’y substituer. Alors on a beau être Savoyard, et donc finalement assez peu concerné par une écotaxe qui n’empêchera pas les camions de nous empester via les autoroutes menant à nos grands tunnels, on eu envie d’écouter cet homme politique breton qui ne renonce pas à revendiquer son bonnet vert.

Ronan Dantec, avec votre proposition d’écotaxe amendée, souhaitez-vous lever un malentendu ?

On s’aperçoit qu’il y a beaucoup d’opposition à la mise en place de l’écotaxe telle qu’elle était prévue, principalement chez les transporteurs routiers et dans le monde agricole. Avec du coup un blocage coûtant déjà à l’Etat environ 800 millions d’euros qu’il va falloir compenser en impôt. Pourtant, les uns et les autres ne sont pas contre le principe de l’écotaxe, mais contre sa mise en oeuvre. C’est là-dessus que se posent des questions. Donc dans une logique d’écolo-médiateur, j’ai essayé de voir comment on pouvait dépasser ce blocage et où était le point de compromis. Je ne suis pas dans une posture écolo pure et dure, mais cherche le moyen d’en sortir avec un dispositif qui reste vertueux.

Il y aurait donc bien une sorte de malentendu sur cette taxe qui a embrasé la Bretagne…

Plus que ça. Il y a d’abord une chose que l’on avait pas vu : l’écotaxe est un dispositif profondément inégalitaire entre les grands et les petits transporteurs. Les systèmes de ristourne et de caution défavorisent clairement les petits, et l’écotaxe va ainsi dans le sens de la concentration du transport routier.

Les agriculteurs dénoncent aussi le fait que les petits trajets de dessertes locales vont être pénalisées, alors que les grands trajets internationaux seraient proportionnellement moins taxés.

On voit surtout que l’OTRE, l’association des petits transporteurs, est mobilisée sur le terrain, tandis que la SNTR, l’association des gros, n’a pas tellement râlé sur l’écotaxe. Donc la première réponse politique à porter, c’est de dire qu’il n’y aura pas de paiement différent pour les petits et les gros sur un même trajet. Ensuite, il faut donner quelques signaux aux agriculteurs, car certains sont dans une situation de crispation très forte vu leur situation de travail difficile. Il y a aussi la question de la grande distribution qui doit arrêter de pressuriser tout le monde. On constate avec ce dossier que la grande distribution, aussi bien pour les transporteurs que les pour les agriculteurs, a un rôle extrêmement anxiogène dans la société française, car elle met une pression folle sur les filières économiques. Tous les témoignages montrent déjà qu’elle cherche à faire en sorte que le surcoût de l’écotaxe dans le transport soit répercuté sur le prix du produit.

Vous recommandez qu’elle prenne en charge ce surcoût ?

Oui, d’autant qu’avec le cadeau de la CICE (ndlr : crédit d’impôt compétitivité emploi), la grande distribution, qui emploie beaucoup de main d’oeuvre, retrouve des marges de manoeuvre énormes grâce à ce crédit d’impôt en lien avec leur masse salariale. Elle va récupérer beaucoup, et dans ce contexte, la grande distribution n’a aucune raison de remettre la pression sur les agriculteurs et les transporteurs pour qu’ils intègrent l’augmentation du coût du transport dans leurs propres prix. Elle peut payer cette augmentation d’environ 4% sur le prix du transport, ce qui n’est quand même pas énorme sur le coût du produit.

Mais que répondez à cette plainte selon laquelle les petites distances seraient pénalisés, et notamment les trajet effectués par des matières premières ou des animaux qui vont se déplacer pour la confection du produit final ?

A mon avis, c’est un peu exagéré, car l’écotaxe est proportionnelle aux kilomètres parcourus et beaucoup de routes secondaires ne seront pas concernées. Donc je ne pense pas que les courtes distances coûtent plus cher que les grosses. Mais de manière très pragmatique et dans une logique d’apaisement, je propose quand même que l’on raisonne sur l’exonération des produits agricoles non finis. Car on est face à un monde agricole où beaucoup de filières sont en véritable souffrance. Et il faut trouver une mesure d’apaisement autour de l’exonération des matières premières agricoles. Maintenant, reste à savoir si le libellé de la directive européenne eurovignette le permet, car elle encadre beaucoup les systèmes d’écotaxe. Donc il va falloir chercher comment faire.

Votre proposition n’a pas encore tout prévu…

J’ouvre des pistes, c’est juste un rapport de commission de finance du Sénat en amont d’une mission d’information à l’Assemblée nationale. Je ne m’attends pas à ce que Jean-Marc Ayrault fasse un communiqué demain en disant que tout est dans le rapport Dantec et que l’écotaxe sera applicable le 1er février ! Mais il est important d’évoquer ces problématiques que je soulève. Il faut également que les transporteurs routiers soient protégés de la concurrence déloyale de ceux qui ne respectent pas la réglementation. Cela passe par d’avantage de contrôle. Car quand il y a concurrence déloyale, il y a évidemment explosion de colère. Donc il y a dans ce rapport un ensemble de mesures d’apaisement, qui coûte un peu, et dans une logique d’équilibre, je propose aussi deux augmentations de recettes : une sur les camions de 44 tonnes qui abiment plus la route que les autres, et une autre en se préparant à récupérer de l’argent sur le bénéfice que vont faire les sociétés d’autoroute sur le report modal de camions qui auront moins d’intérêt à passer par des routes désormais taxées et prendront donc les autoroutes.

Et ça, vous pensez pouvoir l’imposer aux sociétés d’autoroute ?

Le rapport propose un point zéro rapide, pour que l’on soit bien d’accord sur les chiffres actuels, et que l’on voit comment ils évoluent avec l’application de l’écotaxe. Ensuite, il faudrait trouver comment on peut forcer les autoroutes à rendre de l’argent à l’Etat.

En même temps, la question des autoroutes limite clairement l’utilité de l’écotaxe dans une région comme la notre. On peut même se demander à quoi elle servirait. Car bien que l’idée soit de limiter les longs transports routiers pour faire passer la marchandise sur le rail, ce qui est un enjeu important chez nous, le transport international des poids-lourds passe essentiellement en Savoie par l’autoroute jusqu’aux tunnels du Mont Blanc et du Fréjus. Donc l’écotaxe ne contribuera pas ici à mettre les camions sur les trains.

Là, c’est une autre question sur laquelle j’avais d’ailleurs déposé des amendements. Car on devrait pouvoir moduler certaines autoroutes avec des surtaxes sur les péages qui inciteraient à prendre le rail. Cela ne serait pas dans le cadre de l’écotaxe mais un dans un certains nombre de possibilités de taxations supplémentaires pour raisons environnementales sur les péages autoroutiers. C’est possible au niveau européen, mais le gouvernement français n’a pas voulu se saisir de cette possibilité.

C’est quand même un peu paradoxal que les routes utilisées par les transporteurs pour les grandes distances, à savoir principalement les autoroutes, ne soient pas concernées par cette écotaxe.

Non, il y a aujourd’hui beaucoup de camions qui ne prennent pas l’autoroute sur les grands axes. Alors chez vous, ce n’est pas vraiment possible, mais pourquoi l’Alsace a autant d’écotaxe ? Parce que les camions allemands passent par les routes nationales gratuites, plutôt que par les routes allemandes soumises à l’écotaxe. Et si vous regardez la carte des offres de voies express en France, il y a énormément de possibilité hors autoroute, même si, en Savoie, vous êtes plutôt un cas particulier qui ne rentre pas dans l’écotaxe.

Les Bretons ne sont-ils pas les premiers à se plaindre car ils n’ont pas d’autoroute ? Du coup, cette écotaxe, c’est un peu comme si on leur en créait une avec des portiques en guise de péage.

C’est vrai, d’une certaine manière. Mais en Bretagne, l’écotaxe a servi de catalyseur par rapport à des problèmes bien plus importants correspondant à la crise structurelle d’une filière agro-alimentaire en grande difficulté. Et le portique de l’écotaxe, c’est bien pour concrétiser une manifestation.

On peut le casser facilement…

Tout à fait, c’est un système fragile, sauf que tout le monde a oublié que les portiques servent à vérifier, mais ce ne sont pas eux qui font la facture. Ils peuvent être remplacés par un radar ou une unité mobile de gendarmerie. En fait, le système peut fonctionner sans les portiques.

Cette écotaxe suscitant une véritable révolte est-elle finalement révélatrice de la réforme impossible ? Car au départ, une mesure écologique, ça pourrait paraitre sympathique, du moins s’il y a une compensation et qu’un autre prélèvement d’impôt est abaissé. Mais là, cette taxe contre les poids-lourds plutôt dans l’air du temps, elle engendre la rébellion et fait reculer le gouvernement.

Oui, et c’est tout le sens de mon rapport. De dire comment sort-on d’une situation de crispation ? C’est quoi le compromis ? Pour justement ne pas laisser penser que l’écotaxe, c’est mort. Ce n’est pas infaisable d’en sortir mais il faut des signaux pour les petits transporteurs routiers et le monde agricole. D’ailleurs, quand je rencontre les uns et les autres, ils ne sont pas contre l’écotaxe. C’est là que le système est un peu aberrant. Et puis il y a eu une instrumentalisation de cette taxe en basse Bretagne. Il y a une discussion à avoir là-bas, mais elle va plus se jouer sur l’avenir des filières agro-alimentaires bretonnes que sur l’écotaxe.

Reste que les prélèvements obligatoires semblent aujourd’hui tellement contraignants que la moindre petite taxe supplémentaire peut faire déborder le vase de l’exaspération.

Quand on regarde les enquêtes d’opinion, on voit que les Français sont plutôt partagés. Ils ont bien compris que s’il n’y avait pas l’écotaxe, ce sont eux qui paieraient par leur impôts la nécessaire modernisation des systèmes de transport en France. On reviendrait au budget général comme c’était le cas jusqu’à présent. Alors que là, on est dans une logique d’usager payeur, avec une internalisation des coûts dans le produit.

Mais vous constatez bien que, aujourd’hui, la révolte peut surgir pour presque rien. Les bonnets rouges ne symbolisent-ils pas une ambiance générale explosive ?

C’est arrivé dans un moment particulier. Et c’est pour ça qu’il faut la remettre en place en ayant entendu objections et colères, mais ne surtout pas l’abandonner. Car sinon, on ira encore plus dans l’idée qu’on ne peut plus rien faire dans cette société. Or comme on a besoin d’investissements pour tenir les objectifs de la transition écologique, cela serait effectivement une catastrophe absolue. D’où l’enjeu de reprendre le débat sur l’écotaxe avec des pistes de sortie à explorer et à discuter avec les partenaires.

Vous avez l’air un peu tout seul à parler de ça à Europe Ecologie Les Verts. Là, vient de se tenir un congrès, et on a plus entendu les écolos se disputer entre eux, ou alors évoquer le problèmes des Roms ou celui de la prostitution. Bref, pas vraiment des questions écologiques. Ils devraient pourtant être tous derrière vous sur cette question de l’écotaxe !

A priori, ils sont quand même plutôt derrière moi. Je n’ai pas eu l’impression que l’on critiquait que j’aille dans ce sens là.

Mais on n’en parle pas non plus.

C’est un peu vrai, mais maintenant qu’on a un nouvelle secrétaire nationale qui va être totalement dévolue à sa tache, elle va avoir l’occasion de le faire ! Et la logique de la défense de l’écotaxe est totalement partagée à EELV.

On pourrait alors reprocher aux Verts de donner dans une écologie punitive qui se résume à de nouvelles taxes…

L’écotaxe, c’est surtout un milliard d’impôt en moins, mais on a eu une incapacité à expliquer qu’on remplaçait de l’impôt par une redevance correspondant à l’utilisation d’infrastructures. On va aussi récupérer 300 millions dans le trafic international de transit. Donc on est plutôt dans une écologie de recette que dans quelque chose de punitif. Alors certes, on a du mal à faire passer ça, mais s’il y a autant de gens favorables dans les enquêtes d’opinion, c’est qu’ils ont quand même compris que c’est écotaxe ou impôt.

Propos recueillis par Brice Perrier

 

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