Intervention de Ronan Dantec en ouverture du projet de loi sur la transition énergétique, une loi d’urgence climatique et énergétique. Les écologistes seront ferment sur le maintien des grands objectifs et ont de nombreuses propositions d’amélioration du texte.
Monsieur le Président, Madame la Ministre, Madame et Messieurs les rapporteurs,Chers collègues,
La loi sur la transition énergétique est enfin en débat au Sénat. Enfin, non pas tant parce qu’il aura fallu attendre près de trois ans dans le quinquennat de François Hollande pour que ce projet de loi soit enfin présenté, mais surtout parce qu’il y a urgence. Et, plus que de loi sur la transition énergétique, il faudrait d’ailleurs d’abord parler de loi d’urgence énergétique et climatique.
Urgence climatique, tout d’abord. Faut-il le rappeler, si nous ne n’agissons pas radicalement, chacun et à son niveau de responsabilité, alors nous enregistrerons au XXIème siècle une augmentation des températures supérieure à ce que la planète a connu entre l’ère glacière et aujourd’hui. Et nous savons tous, sauf à se réfugier dans des incantations obscurantistes, que nos sociétés n’y survivront pas dans leurs modes d’organisation actuels, et que les crises – alimentaires notamment – auront raison des fragiles équilibres du monde. La France doit donc assumer sa part de la responsabilité collective. Des objectifs précis de réduction des émissions de gaz à effet de serre à la hauteur de l’enjeu sont dans la loi, ils sont un message essentiel à quelques mois de la conférence de Paris.
Urgence économique ensuite, car nous ne pouvons ignorer les grandes fragilités de notre pays, entre importations d’énergie fossile grevant notre balance commerciale, et production d’électricité nucléaire à un prix trop longtemps minoré, mais aujourd’hui clairement non compétitif. Ces déséquilibres menacent la compétitivité de notre économie, mais aussi les budgets des ménages, dans un pays où la précarité énergétique s’accroit.
Certains vont, je n’en doute pas, affirmer ici sur l’air des lampions électriques, que le nucléaire reste la production la moins chère. C’est faux et plusieurs commissions parlementaires l’ont confirmé ! Juste un chiffre mais nous y reviendrons. A Hinkley Point, le réacteur EPR ne trouve son modèle économique qu’à un prix garanti de plus de 110 euros le mégawatheure pendant 35 ans, là où l’éolien terrestre est déjà à 70 euros avec un amortissement sur 15 ans, et le photovoltaïque sera bientôt à 40 euros, c’est-à-dire trois fois moins cher !
Si nous ne rééquilibrons pas rapidement nos stratégies énergétiques en sortant du piège du tout nucléaire, ce sont nos géants mondiaux de l’énergie, et en premier lieu l’opérateur public historique, qui courent au désastre économique. Faut-il souligner ici la situation qui est celle d’AREVA, ex-fleuron de l’industrie nationale, en situation plus que critique, avec l’urgence de se délester d’un milliard d’actifs, dont peut-être, son activité de démantèlement de sites nucléaires, ce qui est tout bonnement insensé car c’est le seul vrai marché d’avenir. L’entêtement français du tout nucléaire peut nous couter très cher si nous ne diversifions pas rapidement notre mix énergétique et si nous ne renforçons pas des filières industrielles fortes sur le renouvelable, ce qui n’est pas possible sans un marché intérieur dynamique. Il nous faut donc affronter nos tabous. Car la fin de vie programmée des centrales reste un tabou, et on préfère ici l’acharnement thérapeutique à une approche sereine de l’inéluctable. Une centrale nucléaire n’est pas immortelle, et ses tuyauteries s’usent avec le temps, il faut l’accepter. Les pics de mise en service se situant au début des années 80, il est clair que nous ne pourrons pas prolonger tous ces réacteurs à plus de 40 ans, surtout dans un contexte de surproduction européenne et d’effondrement des prix de l’électricité, et avec des estimations de coûts de prolongations s’élevant à près de 1,5 milliard par réacteur. La loi donne donc un objectif raisonnable de 50% d’électricité nucléaire à l’horizon 2025. Pourquoi le contester, sauf à considérer que c’est un horizon trop lointain et que 2022 serait plus raccord avec la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la pyramide des âges des centrales ?
Et effectivement, une fois accepté ce deuil nécessaire du tout nucléaire français, reste à enterrer les restes. C’est un vrai problème auquel par exemple les allemands sont aujourd’hui confrontés, et auquel nous devons apporter des réponses techniques et des services… d’où – je l’ai déjà dit – l’aberration totale d’une stratégie d’AREVA qui pourrait se désengager de l’économie du démantèlement.
Nous avons trop délégué à quelques-uns – grandes entreprises et grands corps de l’Etat – l’avenir énergétique de ce pays, et donc son avenir tout court ? Et c’est bien la force de cette loi d’avoir remis la politique au cœur d’un sujet essentiel.
D’abord par la discussion collective : Le débat national sur la transition énergétique qui s’est tenu entre fin 2012 et 2013, a montré qu’une véritable expertise citoyenne existait dans ce pays, proposant des scénarios crédibles alors que les scénarios fondés sur le maintien de la production nucléaire actuelle ne permettent même pas de tenir nos grands objectifs climatiques, à l’inverse des scénarios de diversification. Le débat public a aussi montré l’adhésion des citoyens à l’idée de transition, il a donc permis de légitimer la loi. Je voudrais donc saluer ici toutes celles et tous ceux qui s’y sont investis – ministres, élus, militants associatifs, représentants des syndicats et acteurs du monde économique. Par l’énergie qu’ils ont déployée dans ce débat, ils nous ont éclairé le chemin.
Ensuite, la loi redonne une maitrise politique et une visibilité à la stratégie d’un Etat planificateur autour d’une programmation pluriannuelle de l’énergie de 5 + 5 ans, discutée au Parlement, soumise à l’avis d’un comité d’experts et du Conseil national de la transition écologique. C’est un des points forts de cette loi.
Autre enjeu politique : mobiliser les territoires. Président du groupe de travail « gouvernance » du débat national sur la transition énergétique, je me réjouis notamment du renforcement du SRCAE, le schéma régional climat air énergie, outil essentiel de planification régionale, qui devrait devenir prescriptif en étant intégré au schéma régional d’aménagement du territoire, et de plans climats air énergie territoriaux dorénavant obligatoires dans toutes les intercommunalités. C’est dans les territoires que se jouera vraiment la transition énergétique française. Des exemples concrets, à Nantes ou Grenoble par exemple, montrent que des politiques volontaristes et cohérentes permettent des réductions massives d’émissions de gaz à effet de serre, c’est la voie à suivre. L’ingénierie financière au service des territoires est ici centrale : fonds d’innovation, de garantie, tiers-investisseur, la loi énumère de nombreux outils. Ils sont encore améliorables, mais surtout il nous faudra donner aux territoires l’envie de les utiliser. En ce sens, nous ne pouvons que nous féliciter de la décision de prioriser le développement des plans climat dès 2015, une mesure de la feuille de route environnementale qui reprend une proposition de notre rapport commun avec Michel Delebarre. Comme quoi, les rapports parlementaires, ça peut être inutile !
Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur cette loi dense qui évoque aussi l’économie circulaire, la qualité de l’air ou les enjeux agricoles. Mon collègue Joël Labbé y reviendra dans quelques minutes et nous en discuterons tout au long du débat.
Mais surtout, je crois que cette loi pourrait dire enfin une France en marche, soucieuse des enjeux de demain, au-delà des phrases de posture, prête à bousculer les conservatismes. Elle est, dans sa rédaction initiale, conforme aux engagements du président de la République, et vous pouvez donc compter, Madame la Ministre, sur la mobilisation des écologistes, pour éviter son détricotage.