Intervention de Ronan Dantec sur le projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports.
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur et Madame les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Présidents de commission,
Chers collègues,
Ce texte comprend de nombreux sujets même si cet après-midi, on voit que le débat tourne beaucoup autour de la mise en place de l’écotaxe poids lourds. Avant donc de revenir sur le sujet de l’écotaxe, quelques mots sur le reste des dispositions contenues dans ce texte.
L’article 23 du projet de loi constitue une véritable avancée en matière de droit social des gens de mer. Les conditions sociales et de sécurité françaises sont élargies à tout le personnel navigant et non pas seulement à l’équipage, et ce sur tous les navires utilisés pour fournir une prestation de service dans les eaux françaises. En imposant ces règles aux navires étrangers, le projet de loi améliore la protection de l’emploi de tous les marins, français ou étrangers, et nous nous en réjouissons. Nous avions évoqué ce sujet lorsque notre collègue Evelyne Didier avait présenté une proposition de loi sur le cabotage maritime en novembre dernier. Nous nous félicitons que ce texte reprenne les propositions très pertinentes émises par Madame Didier et le groupe communiste et saluons donc ce travail parlementaire.
Concernant le droit de la responsabilité en cas de marée noire, le projet de loi rend notre droit conforme à nos engagements internationaux, dans le sens d’une amélioration de la protection des victimes de marées noire.
Sur le fond, il pose explicitement le principe de la responsabilité du propriétaire du navire en cas de marée noire.
Pour un breton né à Brest qui a connu l’Amoco Cadiz à 15 ans et participé à la tentative de sauvetage de dizaines de milliers de guillemots mazoutés, plus de vingt ans après, à Nantes, à cause de la marée noire de l’Erika, c’est un dossier éminemment symbolique.
Il aura fallu beaucoup de temps et beaucoup, beaucoup trop de catastrophes pour aboutir à un encadrement juridique permettant de commencer à organiser le régime de responsabilité à même de réparer correctement les préjudices causés par les marées noires, et par conséquent d’encourager en amont les responsables à faire de la sécurité une priorité.
Nous aurons l’occasion de débattre plus longuement sur le sujet lors de l’examen prochainement d’une proposition de loi sur l’inscription du préjudice écologique dans le Code civil mais je tenais ici à souligner ce point.
C’est sur l’article 7, consacré à l’écotaxe poids lourds que je voudrais surtout m’attarder.
La mise en place d’une fiscalité écologique est pour les écologistes un levier fondamental pour la transition écologique que nous appelons de nos vœux. Elle est un outil au service de l’évolution de nos modes de vie, pour préparer notre économie à un monde où les ressources sont rares, et où nous devons limiter nécessairement notre impact sur le climat et sur la biodiversité.
Je voudrais rappeler ici les propos de François Hollande en septembre dernier lors de la conférence environnementale.
« L’écologie n’est pas une punition, c’est ce qui doit nous permettre d’être plus forts ensemble. Dès lors, il nous faudra changer des modes de prélèvement et surtout peser sur les choix, taxer moins le travail, plus les pollutions ou les atteintes à la nature ; dissuader les mauvais comportements ; encourager les innovations ; stimuler les recherches ; accélérer les mutations. »
Nous sommes aujourd’hui classés 26ème sur les 27 Etats de l’Union européenne, en matière de fiscalité écologique. Ce classement reflète les atermoiements constants des précédents gouvernements. Pour rattraper ce retard sur les autres Etats européens, notre pays, et ce chiffre est intéressant, devra engranger près de 20 milliards d’euros de recettes issues de la fiscalité écologique. 20 milliards c’est le montant du Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE).
Directement issue de la concertation du Grenelle de l’environnement en 2007, et programmée initialement pour entrer en vigueur en 2011, ce n’est que le 6 mai 2012 que le décret sur l’écotaxe a été publié, décret qui a suscité bien des oppositions, le système étant jugé trop complexe.
La présente proposition a été mieux accueillie que le décret du 6 mai 2012, comme le fait remarquer notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx dans son rapport pour la commission des finances.
L’assiette de la taxe est modulée en fonction des caractéristiques écologiques des véhicules, selon la classe Euro. C’était évidemment nécessaire.
Le principe de la répercussion de la taxe sur les chargeurs, acté par le Grenelle de l’Environnement, se trouve simplifié par le projet de loi. Il instaure une majoration forfaitaire en pied de facture, qui prend en compte les frais de gestion pour les entreprises concernées.
Fervent partisan d’une fiscalité écologique efficace, je suis d’avis que si on fait des « usines à gaz » en la matière – sans mauvais jeu de mot – le système ne prendra pas, voire se grippera. Or le décret de mai 2012 créait un dispositif très complexe en terme de gestion pour les transporteurs routiers, dont il faut rappeler que plus 80% des entreprises ont moins de 10 salariés.
Nous avons été, tout comme vous – mais peut-être moins que vous – alertés sur les risques potentiels que comporte cette taxe pour la viabilité de plusieurs filières professionnelles. Il faut toujours être attentif aux demandes notamment relevant la complexité d’un dispositif, mais il faut aussi souligner qu’il ne s’agit pas de revenir sur le principe du pollueur-payeur.
Par contre il me semble que nous pêchons par manque de pédagogie et d’explication sur cette taxe, alors que nous pouvons en montrer les bénéfices induits pour nos industries et nos emplois.
Je prendrai deux exemples, le premier sur le transport sur courte distance, le second sur le transport sur longues distances.
Concernant le transport sur courtes distances :
En faisant un calcul rapide de l’impact de l’écotaxe sur un poids lourd servant à de la distribution de proximité : le surcoût lié à la taxe pourrait se situer, en prenant une fourchette très large, aux alentours de 5000 euros par poids lourds. Réparti sur un certain nombre de clients, c’est quelques dizaines d’euros par client.
Ce surcoût peut créer une incitation à développer des alternatives, actuellement inexistantes ou quasi inexistantes.
Je pense, nous avions étudié cette possibilité à Nantes, à l’utilisation au petit matin des tramways ou autres modes de transports en commun irrigant les agglomérations pour faire les livraisons.
Mais je pense aussi aux véhicules électriques. Actuellement seule une trentaine de petits poids lourds roule à l’énergie électrique. Il y a bien un constructeur mais les coûts de sortie sont trop élevés vu la faiblesse de la production. Il y a pourtant là un beau défi industriel à relever. Et nous le relèverons d’autant plus que nos industriels y seront incités. L’écotaxe poids lourds étant bien moins élevée pour les véhicules électriques, une différence de plusieurs milliers d’euros sur le temps d’amortissement du camion serait une incitation très forte.
Cela renforcerait également l’engagement des villes pour améliorer la qualité de l’air et réduire les nuisances liées au transport en ville. Avec là aussi un gain pour la société, car la qualité de l’air est un véritable enjeu de santé publique.
L’instauration d’une écotaxe sur les poids lourds peut et doit donc générer un nouveau modèle économique qui rende plus compétitif le transport moins polluant sur courtes distances.
Concernant le transport sur longues distances :
Le système choisi d’une écotaxe kilométrique permet de faire contribuer les poids lourd qui ne font que transiter en France. (à la différence de la taxation du carburant notamment)
Ces transports de transit devraient être surtaxés pour rendre attractives les alternatives au routier.
J’ai déjà évoqué dans mon rapport budgétaire sur les routes la possibilité de créer une quasi obligation d’utiliser les infrastructures alternatives à la route, notamment dès lors qu’une autoroute ferroviaire existe, par exemple celle entre le Luxembourg et l’Espagne. Ne faut-il pas dans ce cas interdire ou rendre plus contraignante la traversée de notre territoire sur le même parcours ? Ce type de décisions bouleverserait l’équilibre économique de l’infrastructure ferroviaire, et des opérations impossibles aujourd’hui pour des raisons de contrainte budgétaire pourraient voir le jour car adossées à une recette pérenne.
Ceci pourrait être obtenu avec l’instauration d’une taxe dissuasive sur les itinéraires pour lesquelles existe une alternative ferroviaire, maritime ou fluviale. C’est un élément de réflexion que nous devrions mieux intégrer dans le débat sur le SNIT.
J’en viens naturellement à un aspect essentiel de la taxe poids lourds, c’est qu’elle a vocation à financer la politique de développement intermodal des transports. Cela a été acté à l’issue du Grenelle de l’environnement.
Le produit de l’écotaxe est ainsi reversé à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) et aux collectivités territoriales (pour la partie du réseau taxable leur appartenant). Voilà donc un levier financier essentiel dont nous ne pouvons pas nous priver et dont nous ne pouvons pas retarder la mise en oeuvre. Les coûts d’investissement sont très élevés et le produit de l’écotaxe nous aidera à instaurer un système de transport intermodal efficace.
D’ailleurs, en Allemagne, où une écotaxe sur les poids lourds est en œuvre depuis le 1er janvier 2005, les recettes sont également affectées à l’agence fédérale de financement des infrastructures.
Appliquée aux poids lourds de plus de 12 tonnes, les droits de péage pour les poids lourds sont prélevés sur près de 13 000 kilomètres d’autoroutes, soit 28 milliards de kilomètre parcourus par les poids lourds par an, dont 35 % par des véhicules étrangers.
Les recettes de la taxe allemande font, si j’ose dire, rêver : 3,6 milliards de recettes fiscales annuelles. Si nous avions 4 milliards annuels pour nos infrastructures, cela changerait la nature des débats autour du SNIT.
Le groupe écologiste en appelle donc à une montée en puissance progressive du dispositif. Des dérogations régionales existent ainsi qu’un abattement de 10% en cas de souscription au système d’abonnement. Le projet de loi prévoit que les taux de la taxe sont réévalués annuellement par arrêté ministériel. Nous serons vigilants à ce que ces arrêtés traduisent un renforcement régulier de l’écotaxe car c’est notre intérêt collectif, pour notre santé, nos responsabilités dans la lutte contre le changement climatique.
Il convient d’ailleurs de relativiser les conséquences sur les prix à la consommation et donc la réduction du pouvoir d’achat qui seraient engendrés par cette taxe :
Au regard de l’expérience de la Suisse et de l’Allemagne, l’écotaxe aura une conséquence sur les prix de l’ordre de 0,1% à 0,2%. Il ne s’agit pas de nier les difficultés des chargeurs mais celles-ci ne sont pas liées à l’écotaxe.
Comme indiqué dans l’étude d’impact, l’écotaxe est surtout un outil de signal-prix qui doit poser la question sociétale sur la nécessité de transporter mieux (moins loin et avec une optimisation des transports). Moins de distance de transport et un meilleur taux de remplissage devraient au final avoir un impact positif sur les prix à la consommation et largement rééquilibrer cette hausse annoncée due à l’écotaxe. C’est en tous cas ce qui c’est passé en Suisse et en Allemagne.
Je voudrais finir en rappelant quelques points sur lesquels nous serons extrêmement vigilants :
Monsieur le Ministre, vous avez autorisé le 44 tonnes 5 essieux. Il avait été autorisé à titre dérogatoire pour les approches « transports combinés » autour des ports et gares à 100km, ensuite cela a été 150km, puis pour toutes les marchandises autour des ports et pour terminer …la généralisation du 44 tonnes !
Nous voyons arriver une nouvelle difficulté du même ordre avec la demande de certains consistant à autoriser les poids lourds de 25 mètres 25. Je me permets de rappeler que le produit de la taxe sert aussi à l’entretien des routes et il serait dès lors totalement contreproductif pour ne pas dire contradictoire de mettre en œuvre la taxe et d’autoriser, après le 44 tonnes 5 essieux, le 25,25 qui sont des véhicules qui dégradent particulièrement la voirie de notre pays.
Un deuxième point de vigilance porte sur le report de trafic sur les autoroutes concédées que va occasionner cette taxe. Il est aujourd’hui estimé entre 250 et 400 millions en hausse de revenus pour les concessionnaires. Une hausse de la redevance domaniale correspondante s’imposera à un moment donné. Le groupe socialiste propose un amendement par lequel le gouvernement devra rendre un rapport au Parlement sur les effets de la taxe, et notamment sur les reports de trafic constatés. C’est une bonne chose. La remise de ce rapport au 1er septembre 2014 interviendra de surcroît en amont de la discussion budgétaire, ce qui permettra le cas échéant de faire évoluer la taxe. Et nous souhaitons que, dans l’intervalle, le gouvernement, comme il l’a annoncé, continue la discussion avec les concessionnaires d’autoroutes qui doivent participer à l’effort national en faveur du report modal. Le groupe écologiste soutient le gouvernement sur ce point.
Parce qu’il apporte plusieurs évolutions utiles, et surtout parce qu’il instaure un prélèvement de fiscalité écologique, le groupe écologiste votera pour ce texte, en espérant que ce ne soit qu’un début dans la mise en œuvre d’une fiscalité écologique à la hauteur des enjeux, c’est l’intérêt des finances de notre pays, de ses filières industrielles, et bien sûr de la préservation de son environnement. Aucune raison de s’en priver donc.