La séance d’ouverture de la session extraordinaire du Sénat mardi 11 septembre a été consacrée à l’examen du « projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social » présenté par la ministre chargée de l’Egalité des Territoires et du Logement, Cécile Duflot.
Le sénateur UMP Roger Karoutchi, avait déposé une motion de procédure visant à faire tomber le texte de loi, au motif que le choix d’utiliser la procédure accélérée pour examiner ce texte serait « contraire à l’esprit de la révision constitutionnelle de juillet 2008 ». Ronan Dantec est intervenu au nom de la majorité de gauche pour défendre le projet de loi et appeler le Sénat à voter contre la motion du groupe UMP. La motion a finalement été rejetée et l’examen du texte se poursuit aujourd’hui et demain devant le Sénat.
Madame la Ministre,
Monsieur le Président
Monsieur le Rapporteur,
Monsieur Karoutchi,
Chers collègues,
J’ai suivi avec intérêt une bonne partie de l’après-midi le débat qui a suivi la présentation par Madame la Ministre, de ce texte de loi sur la mobilisation du foncier. On a commencé dans la posture politicienne, c’était un peu le brouhaha caractéristique d’une rentrée des rentrées, et c’était peut-être inévitable.
Mais ensuite, nombre d’interventions cet après-midi ont été de qualité, sont entrées dans le fond du débat. Je prends l’exemple de l’intervention de Valérie Létard, dont certaines propositions ont suscité de l’intérêt, sur les bancs de la majorité, et je ne doute donc pas qu’il y a ici de la place pour l’échange et l’amélioration du projet de loi. Nous sommes bien au Sénat, où le travail de fond et l’intérêt doit donc l’emporter sur les postures politiciennes. Je sais que nous en sommes tous convaincus. Une partie de l’opposition a donc choisi de faire passer l’urgence de la question de fond sur la pénurie de logements sociaux, avant des polémiques politiciennes un peu faciles. Nous pouvons nous en féliciter même si nous entendons les insatisfactions que peuvent légitimement susciter cette accélération de procédure.
Malheureusement, avec l’intervention de Mr Karoutchi, j’ai l’impression que nous revenons en arrière et j’en suis désolé.
Mr Karoutchi considère que la loi est contraire « à l’esprit de la révision constitutionnelle de 2008 », ce qui ne signifie pas qu’il considère que la loi est contraire à la lettre de la Constitution, sinon sa motion aurait bien sûr été libellée différemment.
Nous sommes évidemment dans le cadre réglementaire du Sénat (article 42, alinéa 6 du règlement), et nous ne sommes en rien en contradiction avec les procédures d’urgence que prévoit la Constitution.
Je ne voudrais donc pas moi non plus remuer le couteau dans cette plaie mal cicatrisée. De plus, Monsieur Roger Karoutchi connaît parfaitement la procédure d’urgence pour l’avoir lui-même utilisé.
Prenons par exemple ce communiqué d’Associated Press en date du 4 mars 2009, soit juste après la révision constitutionnelle de 2008 : Je cite : « Le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement Roger Karoutchi a confirmé qu’il n’est pas question de revenir sur la procédure d’urgence pour la loi pénitentiaire, une décision que Bernard Accoyer a regretté.»
Notons déjà qu’aujourd’hui au moins, le président du Sénat est, lui, en phase avec le gouvernement : cette loi ne passe pas en urgence contre la volonté de la majorité parlementaire, je pense que les interventions de l’après-midi l’ont abondamment illustré. Je remarque donc que le précédent gouvernement était, lui, capable d’utiliser la procédure d’urgence même contre l’avis des présidents de droite du Parlement.
Je ne pense donc pas raisonnable et crédible, Monsieur Karoutchi, que vous vous érigiez ainsi ce soir en défenseur outragé des droits du Parlement.
Tout aussi intéressant Mr Karoutchi, votre argumentaire de l’époque, toujours dans ce communiqué d’AP : « L’été est la période la plus difficile dans le monde carcéral, est-ce qu’on n’a pas intérêt à ce que ce texte de loi soit voté avant l’été ? »
Et oui, il y a l’urgence des saisons. Pour les mal logés en France, 3,6 millions de personnes selon la fondation Abbé Pierre, l’hiver arrive aussi très vite. Quelque part en France, les quelques semaines gagnées dans l’examen de de ce projet de loi, c’est aussi dans quelques années, des logements qui seront prêts avant l’hiver….des souffrances humaines en moins qui peuvent justifier cette procédure d’urgence….même si nous sommes tous d’accord pour dire qu’il ne faut pas en abuser.
La procédure d’urgence est possible parce qu’une large majorité de cette assemblée partage l’idée de la nécessité d’une action rapide, forte, illustrant la détermination de l’Etat de combattre le mal logement et de répondre aux besoins de logements sociaux. La procédure d’urgence est possible parce qu’il s’agit d’une impulsion, d’un premier étage d’une fusée qui s’attaquera ensuite à toutes les questions complexes du logement. Et vous conviendrez donc qu’il n’y a aucun intérêt à retarder une impulsion.
Je rappelle aussi, cela a été dit cet après-midi, que nous avions déjà travaillé ici, avant l’élection présidentielle sur une proposition de loi sénatoriale sur la mobilisation du foncier public, et que donc ce n’est pas totalement un sujet que nous découvrons.
Malgré tout donc, la droite ou une partie de la droite, s’oppose, et prend le prétexte d’une motion d’irrecevabilité à laquelle Mr Karoutchi ne peut pas croire lui-même, pour faire durer les débats et la séance. J’ai donc écouté très attentivement Mr Karoutchi pour savoir quels arguments nouveaux il pouvait développer dans ce nouveau temps de parole qu’il s’était donc octroyé.
Et il se trouve que votre intervention n’a pas amené une seule évolution sur le fond du débat.
On peut en revanche revenir sur d’autres évolutions. Au moment de la première discussion de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU), sous le gouvernement Jospin, Gilles Carrez, alors député UDF, y voyait par exemple « un retour à l’urbanisme du Gosplan et à l’architecture du béton (…), un texte dangereux pour la qualité de vie et d’habitat des Français ».
La droite opposait alors systématiquement le principe de libre administration des communes de l’article 72 de la Constitution à la volonté de la gauche d’imposer une part de logement social. Il reste encore un peu de ce réflexe, mais tourné différemment dans l’intervention tout à l’heure de Mme Colette Giudicelli, qui nous accusait de vouloir stigmatiser les élus locaux. Diable ! Stigmatiser les élus locaux ! Je crois pourtant au contraire que cette loi est un acte de confiance vis-à-vis de la capacité des élus locaux à agir pour répondre au défi du logement à partir du moment où on leur en donne les moyens…en l’occurrence des terrains !
Mais effectivement, la droite est bien plus prudente sur le sujet, car elle a elle-même compris que le pays ne pouvait plus continuer à laisser la fracture territoriale s’aggraver. C’est Jean Leonetti qui, à propos de cette première loi SRU déclarait que cette « loi a été un outil, un levier indispensable pour imposer la mixité sociale dans nos communes ».
Ou même Jacques Chirac qui en 2007 appelait les agents de la fonction publique de l’Etat à aider les élus locaux à « progresser vers une stricte application de la loi SRU ».
On peut donc évoluer, et dans quelques années, quand nous inaugurerons les programmes de logements sociaux nés de cette loi, je suis sûr que nous retrouverons des consensus bien loin des motions de procédure de ce soir.
Je ne veux pas trop rentrer dans le jeu de cette motion en participant moi aussi à la prolongation exagérée du débat, mais je profite de cette intervention pour, sur le fond, souligner rapidement quelques points.
D’abord, j’entends et je rejoins Madame Valérie Létard sur le fait que le quantitatif, s’il est nécessaire, ne doit pas pour autant masquer les enjeux qualitatifs qui doivent s’attacher à ces nouveaux programmes, sur leur insertion dans la ville, leur mixité sociale et fonctionnelle, la qualité du bâti…Mais je sais qu’avec la Ministre, nous partageons ces exigences.
Et les élus locaux ont ici accumulé une expérience forte, il s’agit bien de développer des démarches d’éco quartiers, qui ne doivent pas s’adresser qu’à des quartiers plus aisés de classes moyennes.
Je voudrais aussi insister, en réaction aux propos de Mme Giudicelli, sur le fait que certains territoires, notamment les littoraux touristiques, seraient de toute manière devenus trop chers pour intégrer des programmes d’habitat social. Bien au contraire, il faut aujourd’hui trouver des réponses à l’exclusion des populations modestes, souvent originaires de ces espaces et qui ne trouvent plus à s’y loger, c’est là aussi un enjeu fort qui nécessite le volontarisme de l’action publique.
Chers collègues, ce projet de loi est nécessaire sur le fond, important dans le signal de mobilisation qu’il adresse à une société française fragilisée par le mal logement.
Et je pense que nous trouverons donc une majorité large pour juger irrecevable la motion d’irrecevabilité de Mr Karoutchi qui apparaît bien au final comme une forme de catharsis par rapport à son expérience ministérielle et à la façon dont il a eu de traiter le Parlement précédemment.
J’appelle donc toutes les sénatrices et les sénateurs à rester sur le fond du sujet et à voter contre cette motion.