Au nom du groupe écologiste au Sénat, Ronan Dantec est intervenu lors de la « proposition de loi constitutionnelle tendant à favoriser la simplification du droit pour les collectivités territoriales et à encadrer la transposition des directives européennes ». Il a rappelé que c’est par « la souplesse, en reconnaissant les spécificités des territoires, que l’on pourra réduire la part des normes, en améliorant leur adaptation ».
Monsieur le président,
Monsieur le secrétaire d’État,
Mes chers collègues,
Je vais commencer par me montrer un peu taquin. Nous sommes en effet appelés à débattre de l’inflation normative, de l’inflation des textes ; or je me demande si l’inflation des propositions de loi constitutionnelle entre elle-même dans le champ du présent texte… En effet, il me semble que cette proposition de loi constitutionnelle crée un cadre normatif assez complexe à gérer, et il est certain qu’il constitue une charge supplémentaire, au moins pour l’agenda du Sénat.
La présentation qu’a faite M. Pointereau en ouvrant cette discussion m’a laissé assez sceptique. Finalement, elle revient à mélanger dans la même discussion la question des normes, celle des charges et donc celle des compétences des collectivités. Or ces sujets sont assez différents les uns des autres. À mon sens, les réunir dans un même débat ne permet pas de gagner en clarté. En contrepartie, la réponse apportée par M. le secrétaire d’État s’est révélée assez précise. Chacun l’a compris, les normes constituent un véritable sujet. Aujourd’hui, le CNEN est à l’œuvre, il faut tout simplement qu’il puisse travailler et tirer les conséquences, les enseignements de ses réflexions sans se précipiter.
J’ajoute qu’avec cette proposition de loi constitutionnelle, nous en restons à un propos assez général. Or la question n’est pas celle de la norme en tant que telle. Lorsqu’on discute avec les élus locaux, on constate que le débat se focalise toujours sur un certain nombre de normes précises, que l’on connaît.
Premièrement, j’évoquerai les normes liées à l’accessibilité. Cet exemple peut sembler dérangeant, mais, à mon sens, il a toute sa pertinence. Sur ce front, la France était extrêmement en retard par rapport à d’autres grands pays, notamment les États-Unis. Certes, les normes adoptées constituent des contraintes réelles pour les communes et les aménageurs, mais, sans elles, nous serions encore dans une situation scandaleuse.
Bien sûr, dans un certain nombre de cas, telle ou telle dérogation, telle ou telle souplesse semblent nécessaires. Néanmoins, les associations ne sont absolument pas enclines à étudier les modalités de telles dérogations. Quand de si grands retards ont été accumulés, il est difficile d’adopter des mécanismes dérogatoires. Ces derniers exigent un consensus, de la confiance entre acteurs. Ainsi, derrière la norme, ce sont finalement les blocages de notre pays qui apparaissent en filigrane.
Deuxièmement, je mentionnerai la question environnementale. Cet exemple est évident. Pour certains, peu nombreux dans cet hémicycle, l’environnement et les normes environnementales, ça suffit… Mais, très clairement, sans les normes, notre pays, qui n’est pas en pointe en la matière, continuerait de dégrader son environnement, déjà gravement atteint.
De surcroît, ceux qui sont les premiers à se battre pour la simplification peuvent parfois se retrouver du côté de la norme, lorsque la législation ne leur paraît pas aller dans le bon sens.
Ainsi, j’ai défendu ici même, et à plusieurs reprises, des amendements tendant à simplifier et à réduire les normes en vigueur, notamment pour le développement de l’éolien. J’ai été surpris de la créativité dont a fait preuve la Haute Assemblée pour créer encore des normes supplémentaires !
Troisièmement et enfin, je citerai brièvement le code des marchés publics. Les normes qu’il contient ralentissent quelque peu l’action publique locale. Elles n’en étaient pas moins nécessaires. En la matière, on a connu trop de difficultés au cours des périodes précédentes pour ne pas adopter des dispositions extrêmement précises permettant d’éviter les suspicions, en particulier de conflits d’intérêts.
Si j’ai pris ces trois exemples, c’est parce que, loin d’être théorique, ce débat est lié à des sujets politiques. Au total, mettre toutes les normes dans le même panier, cela n’aurait guère de sens.
Voilà pourquoi, au commencement de cette discussion, j’étais quelque peu sceptique. Toutefois, je vous l’avoue, c’est avec plaisir que j’ai entendu l’ouverture énoncée par Jean-Pierre Vial et confirmée par M. le secrétaire d’État : derrière ce débat, figure l’enjeu de l’organisation et de la culture administratives françaises. C’est clairement le cas !
Jean-Pierre Vial l’a bien expliqué : si, aujourd’hui, l’Allemagne est à même d’avancer dans ce domaine, c’est parce qu’elle dispose d’un système beaucoup plus décentralisé, laissant aux territoires une bien plus grande capacité d’adaptation en fonction de leurs spécificités. À cet égard, M. le secrétaire d’État a évoqué une « gestion différenciée ». Je me suis demandé s’il irait jusqu’à parler de « décentralisation différenciée » ou de « régionalisation différenciée ». En tout cas, on l’observe clairement, il existe un lien entre ces enjeux.
On ne peut pas, d’une part, rester dans le cadre idéologique de l’ancienne culture jacobine et, de l’autre, déplorer l’inflation des normes. Dans une société de plus en plus complexe, les deux phénomènes se conjuguent ! C’est donc bien par la souplesse, en reconnaissant les spécificités des territoires, que l’on pourra réduire la part des normes, en améliorant leur adaptation.
Si ce débat nous permet d’émettre cette critique quant à ce jacobinisme, qui, je le précise, n’a jamais été ma culture de cœur, nous aurons effectivement fait œuvre utile ce soir. Je ne sais si telle était la volonté initiale des auteurs de cette proposition de loi… En tout cas, pour éviter l’inflation normative, il faut renforcer la capacité des territoires à adapter au mieux les normes à leur spécificité. À ce titre, ce débat est plutôt positif, même s’il n’est pas pour autant nécessaire d’adopter cette proposition de loi. En tout cas, les membres du groupe écologiste ne la voteront pas.
-Seul le prononcé fait foi-