16 décembre 2014. Intervention de Ronan Dantec sur le projet de loi portant Nouvelle organisation territoriale de la République

Ronan Dantec représente le groupe écologiste au Sénat sur la réforme territoriale.
Le 3ème et dernier projet de loi de réforme territoriale qui réorganise les compétences des collectivités locales arrive au Sénat.

Soutien au couple intercommunalités – régions affirmé dans le texte du gouvernement, refus du retour en arrière, les écologistes abordent ce débat dans un état d’esprit constructif et porteront des propositions fortes sur la démocratie locale, le renforcement des régions, l’autonomie financière des collectivités, la nécessité d’une décentralisation différenciée.

Le dossier législatif de ce projet de loi ici

Les amendements portés par Ronan Dantec au nom du groupe écologiste ici

L’intervention de Ronan Dantec en introduction de l’examen du texte au Sénat ci-dessous :

Monsieur le Président, Madame la Ministre, Messieurs et Mesdames les rapporteurs,

Chers collègues,

Nous voilà donc à l’aube de l’examen de la troisième loi de la mandature sur le sujet de la réforme territoriale. Bien conscient de la difficulté à mener une telle réforme territoriale ambitieuse pourtant nécessaire dans un pays de plus en plus paralysé par ses conservatismes, je veux commencer ici par rendre un sincère hommage, à Madame la Ministre, Marylise Lebranchu, qui ne ménage pas sa peine depuis 2012 pour faire évoluer l’action publique dans une France empêtrée dans un mille-feuille territorial qu’on ne sait par quel bout entamer et une confusion des responsabilités qu’on ne sait comment démêler.

Mais, la méthode employée par le gouvernement est-elle satisfaisante et nous donnait-elle toutes les chances de mener sereinement ce débat? Si ce texte porte des avancées notables sur lesquels je m’exprimerai plus longuement d’ici quelques minutes, il est regrettable qu’il arrive en dernier. Nous avons déjà pu le dire ici, traiter des métropoles en premier comportait un risque de crispation pour la suite. Et surtout, avoir redéfini la carte des régions avant d’avoir une vision claire de l’ensemble des nouvelles responsabilités qui leur incomberont était une erreur lourde de conséquences, et nous le subissons aujourd’hui, y compris dans les incohérences de la carte territoriale qui se précise.

Sur la méthode enfin, la concomitance entre ce projet de loi qui fait évoluer les compétences des départements et la tenue des élections départementales en mars prochain, n’est pas sans poser quelques questions démocratiques. Comment en effet faire campagne sur un projet départemental, proposer un contrat démocratique avec les citoyens, alors que les compétences départementales ne sont pas encore connues ? Nous ne créons pas, ici, Madame la Ministre, les conditions d’un renforcement de la démocratie territoriale.

Je rejoins les analyses de Rémi Pointereau ici. Mais pour le reste nous divergeons profondément.

Sur le fond maintenant. Quand, en octobre 2012, le Président du Sénat avait convoqué les Etats généraux de la démocratie territoriale, et que le Président de la République qui débutait son mandat, y avait fait des annonces audacieuses, je m’étais pris à rêver d’une grande ambition décentralisatrice pour notre pays, tout juste trente ans après la première loi Deferre. Les écologistes ont cette vision ambitieuse de la décentralisation, et ont toujours été en avance sur leur temps, parce que nous considérons que la gouvernance et l’organisation territoriale sont la clé de l’efficacité ou au contraire de la défaillance des processus de décision et de mise en œuvre des politiques publiques.

Nous prônons ainsi une démocratie territoriale qui corresponde à la réalité des territoires de vie, pas ceux de la Révolution française, où le cheval et la marche à pied fondaient ces territoires. Nous sommes au XXIème siècle, époque du transport public et de la voiture individuelle, où agglomérations et régions sont les véritables espaces vécus au quotidien, sont les territoires des coopérations associatives, universitaires et économiques.

En cohérence avec le renforcement du couple régions / intercommunalités, qui est le cœur de ce projet de loi, et que nous soutenons, les écologistes prônent aussi une décentralisation différenciée. La décentralisation à l’identique partout ne peut pas être une bonne réponse parce qu’on ne peut pas apporter des réponses identiques à des situations différentes. Même si la Constitution de 1958 nous a enfermé dans une décentralisation décidée par le pouvoir central et applicable à l’identique sur tout le territoire, le développement, loi après loi, des statuts particuliers – la Corse, les territoires ultramarins – ont ouvert la voie, sans oublier les statuts particuliers de certaines des plus grandes villes de France, depuis la loi sur les métropoles.

Nous appelons donc au renforcement de cette logique d’une décentralisation s’adaptant à la diversité des territoires. Et nous déposerons de nombreux amendements en ce sens.

Et nous serons attentifs, Madame la Ministre, à vos propositions pour contourner ce carcan constitutionnel d’un autre temps, malheureusement maintenu par le refus de l’opposition nationale de s’engager pour des raisons de calculs dans toute réforme constitutionnelle, pourtant nécessaire à la modernisation du pays.

Le présent projet de loi présente des évolutions qui vont, selon nous, dans le bon sens, tout particulièrement par la responsabilité donnée aux régions d’établir des schémas prescriptifs en matière de développement économique et d’aménagement du territoire, vielle proposition des écologistes, longtemps considérés sur ce point comme de dangereux utopistes. Marie-Christine Blandin, présidente écologiste de la région Nord Pas de Calais, le défendait déjà en 1990. Mais nous commençons à avoir l’habitude que l’histoire finisse par nous donner raison. Partisans d’une décentralisation reposant sur des régions fortes, les écologistes défendront le transfert aux régions de compétences structurantes qui relèvent de la planification, de l’aménagement et de l’égalité des territoires, parmi lesquelles les compétences en matière de transports. Nous soutiendrons aussi un élargissement de leurs compétences dans le champ environnemental, tant nous ne pourrons plus demain construire des schémas d’aménagement du territoire qui n’intègrent pas précisément les enjeux environnementaux.

Des régions renforcées, des intercommunalités correspondant à des bassins de vie et dotées d’un projet politique et non plus uniquement chargées de gestion technique de compétences mutualisées, une organisation territoriale fondée sur ces deux échelons correspond à la vision écologiste de la décentralisation. Elle est cohérente en termes d’efficacité des politiques publiques et lisible pour les citoyens.

Nous saluons donc le fait que ce projet de loi témoigne également d’une ambition gouvernementale de renforcer les intercommunalités, et nous le soutiendrons en ce sens, contre les conservatismes, et sans vouloir gâcher votre réveillon, Madame la Ministre, je crains malheureusement que vous ne vous heurtiez en janvier à quelques immobilismes, qui trouvent ici généralement quelques échos. Ainsi, la commission des lois du Sénat a déjà fait passer la compétence tourisme des communautés de communes et des communautés d’agglomération de compétence obligatoire à optionnelle, retiré la possibilité aux EPCI de prendre en gestion des ports relevant aujourd’hui de la compétence des départements et surtout a supprimé le relèvement du seuil de 20000 habitants par intercommunalité.

Surtout ne touchons à rien. Ce pays va magnifiquement bien, l’action publique est parfaitement coordonnée, tout va bien Madame la Ministre.

Et tout particulièrement, je voudrais revenir sur le suffrage direct intercommunal, un grand tabou de cette assemblée, même s’il faut noter, et c’est peut-être un peu passé inaperçu, qu’il est évoqué par le sénateur Bertrand dans son rapport récent sur l’Hyper ruralité. Je m’en inspire d’ailleurs dans un de mes amendements. Mes chers collègues, pensez-vous vraiment tenables que nous puissions longtemps continuer à avoir des débats, au moment des élections municipales, centrés sur le niveau communal, alors que les décisions principales qui le concernent sont prises à l’échelle communautaire ? Arrêtons de passer le message aux électeurs que leur vote n’influe finalement que peu sur les vrais lieux de décisions et que finalement ils peuvent donc s’en désintéresser. Ils ne sont pas dupes, et je peux témoigner que les électeurs sont demandeurs de ce débat à l’échelle de l’intercommunalité, surtout s’ils n’habitent pas dans la commune centre. Entendons-les.

J’en viens maintenant à l’avenir des départements, dont la disparition n’est plus à l’ordre du jour. M’éloignant du petit livre vert, ce qui prouve que les écologistes sont autant que d’autres à l’écoute des territoires, je ne défendrai pas la suppression pure et simple des conseils départementaux.

J’ai eu l’occasion de développer ces raisons dans d’autres interventions au Sénat : d’une part aucune autre collectivité ne veut exercer les compétences sociales du département, d’autre part, la création de méga régions redonne son sens à l’échelon départemental, entre régions et intercommunalités. Certains pourront remercier Manuel Valls, qui, en faisant aboutir la création de méga régions, a sauvé les départements, et nous avons bien compris que la phrase sur la disparition programmée des départements à l’horizon 2020 n’était plus d’actualité.

Nous considérons toutefois que si le département peut participer de la solidarité territoriale et de la cohésion sociale, il n’est pas pertinent de lui conserver d’autres compétences qui n’entrent pas dans ce cadre, ce qui aurait pour conséquence non seulement d’aggraver les difficultés financières des départements mais aussi de remettre de la confusion dans la tentative de clarification des compétences contenue dans ce projet de loi. Je pense particulièrement au transport, au tourisme, au développement économique, et j’espère vraiment que dans ce débat, nous saurons, chers collègues, montrer qu’en 2015, nous ne fêterons pas dans cette discussion, les deux cents ans de la Chambre des pairs, le Sénat de la restauration.

Au regard de ces éléments, ce texte nous satisfait donc partiellement sur le volet répartition des compétences, ou pour mieux dire, nous satisfaisait jusqu’à son passage en commission, qui a parfois tenu de l’hommage au mille-feuille, tel qu’il est servi au restaurant du Sénat.

Néanmoins, ce projet de loi reste complètement insatisfaisant sur deux points sur lesquels porteront nombre des amendements du groupe écologiste : l’absence de propositions de rénovation de la démocratie locale d’une part ; l’absence de dispositions donnant des marges de manœuvres financières aux collectivités d’autre part.

Concernant le financement des politiques décentralisées, nous pouvons avoir de réelles inquiétudes pour l’avenir. Je pense particulièrement aux régions et à leurs compétences larges sur l’économie, l’aménagement du territoire, les transports. Nous y reviendrons plus en détail quand nous examinerons les articles du texte mais nous croyons que les régions devraient bénéficier de ressources financières en lien avec l’exercice de leurs compétences. Par exemple, sur les transports, nous proposerons, de nouveau, l’instauration d’un versement transport régional, et nous aurons à cœur également de creuser le sujet d’une taxe poids lourds régionalisée. Ces recettes seront nécessaires demain à la qualité des infrastructures dans tous les territoires et donc à la compétitivité économique des territoires. C’est un enjeu majeur. Et c’est aussi un enjeu d’actualité à l’heure où se prépare le licenciement des salariés d’Ecomouv’ et la perte d’un outil pourtant déjà payé. Des présidents de régions appellent aujourd’hui à la mise en place d’une taxe poids lourds régionale. Nous devons les entendre et faire preuve ici d’initiative au service d’une demande des territoires, qui dépasse les clivages politiques.

Plus globalement, et je crois que la plupart d’entre nous en a conscience, notre pays a besoin d’une réforme fiscale profonde et cette réforme, que les écologistes appellent de leurs vœux, devrait s’attaquer à la fiscalité locale. Pensons, ne serait-ce qu’à la réforme des bases locatives pour le calcul de la taxe d’habitation, véritable serpent de mer sur lequel rien n’évolue… Cette réforme fiscale devrait logiquement nous amener progressivement vers une part réelle d’autonomie financière des collectivités, et donc des régions en premier lieu.

L’autre grande lacune du texte ne relève pourtant pas du détail puisqu’il s’agit ni plus ni moins de la démocratie. Les écologistes ne comprennent pas qu’on puisse procéder à une réforme territoriale sans l’accompagner d’une réforme de la démocratie locale. Donner des responsabilités aux collectivités locales sans affermir la démocratie locale créé un déséquilibre de fond à cette réforme. Nous avons des propositions touchant aux deux échelons qui selon nous, sont l’armature en devenir de l’organisation territoriale de notre pays : régions et intercommunalités.

Bicamérisme, séparation de l’exécutif et du délibératif dans les assemblées régionales etc. Certaines de ces propositions vont sans nul doute être jugées exagérées, par certains, mais de les adopter nous gagnerions du temps.

Nous voilà donc face à ce qui sera probablement le dernier grand texte de réforme territoriale de cette mandature. Beaucoup d’amendements et des heures de débats nous permettront, j’espère d’aboutir à des solutions partagées allant dans le sens de l’intérêt général.

Notre pays a besoin d’une réforme lisible et ambitieuse. Ce serait à l’honneur de notre assemblée d’aborder le débat dans cet état d’esprit. C’est en tous cas ainsi que le groupe écologiste aborde le débat.

Je vous remercie.

 

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