15 décembre 2014. Les raisons du vote contre des sénateurs écologistes sur le projet de loi sur la délimitation des régions

Intervention de Ronan Dantec dans la discussion générale au nom du groupe écologiste lors de la nouvelle lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral

Monsieur le Président, monsieur le Ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues,

Nous voilà en nouvelle lecture de ce projet de loi relatif à la délimitation des régions. Les péripéties de ce texte nous en disent long sur la difficulté à aborder ce débat pourtant essentiel de l’organisation institutionnelle de notre pays et de cette nécessité de réforme territoriale.

Ce sujet nous occupe depuis un certain temps et va continuer à nous occuper puisque dès demain, nous serons ici pour commencer l’examen en séance publique du projet de loi portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République.

Il apparait évident que nous n’avons pas fait les choses dans le bon ordre : il fallait d’abord parler de compétences, puis de la taille des collectivités, et non l’inverse.

Les écologistes sont promoteurs de ce que nous appelons la décentralisation différenciée, nous défendons une véritable décentralisation prenant en compte les spécificités des territoires : quand on parle de décentralisation différenciée, la « différenciation » concerne bien entendu l’exercice des compétences, et nous aurons l’occasion d’en reparler dès demain à l’occasion du projet de loi porté par Marylise Lebranchu, mais cette différenciation concerne également la composition même des territoires, leurs limites géographiques. Se laisser de la souplesse dans les délimitations territoriales nous semble fondamental pour que les collectivités de notre pays aient des configurations adaptées aux réalités du vécu des habitants, cohérentes avec les coopérations existantes entre les acteurs des territoires, respectueuses de la diversité, de l’histoire, des cultures et des dynamiques économiques.

C’est pourquoi le groupe écologiste a déposé au fil des lectures du texte de nombreux amendements autour de cette nécessité d’adapter les limites territoriales aux réalités et aux aspirations des habitants dans leur volonté de vivre ensemble, de « faire territoire ». Et dans cette ultime lecture, je défendrai encore deux amendements sur les points que nous jugeons essentiels, parce que sur les modifications de limites territoriales, le texte de ce projet de loi que nous examinons pour la dernière fois est inacceptable en l’état. Nous avions dit « souplesse », et nous avions même pu penser que les compromis trouvés au Sénat ne seraient plus remis en cause… ce qui n’a malheureusement pas été le cas.

Sur le droit d’option permettant une carte plus fine, permettant de remédier aux absurdités du découpage technocratique des années 50, sur cette possibilité de rattacher un département à une autre région, la procédure existante est inapplicable. Le Gouvernement et le Parlement avaient donc initialement indiqué leur volonté d’assouplir le dispositif existant et le texte tel que modifié en 1ère lecture au Sénat constituait déjà un compromis. Mais l’Assemblée nationale, soutenue, inspirée par le gouvernement, est revenue en arrière, au nom de je ne sais quelle peur de voir les territoires s’occuper d’eux-mêmes, et au final ce texte revient à un véritable droit de véto de la région quittée sous la forme d’une délibération, qui permet une minorité de blocage des 2/5èmes pour s’opposer au rattachement d’un département à une autre région. Revoilà le dispositif parfaitement verrouillé et donc inapplicable. C’est pourquoi nous proposons de remplacer ce droit de véto par un avis de la région de départ, en amont de délibérations concordantes du département et de la région d’accueil. Autre amendement, plus de repli, nous proposons au moins de revenir à une majorité simple au lieu de la majorité des 3/5èmes pour l’avis de la région « quittée ». Je souligne que cette règle de majorité des 3/5èmes n’existe pour aucune autre décision d’une assemblée locale.

Dans les précédentes lectures du texte, j’ai porté d’autres amendements au nom du groupe écologiste, qui créaient des dispositifs nouveaux pour faciliter les redécoupages territoriaux. Je n’y reviendrai pas en cette ultime lecture du texte, mais je me permets de prendre date. Les écologistes sur les sujets d’organisation institutionnelle ont toujours été porteurs de propositions, qui de prime abord, peuvent sembler originales, voire peut-être s’attirer quelques quolibets, mais qui finalement font leur chemin. Il y a quelques années encore, défendre par exemple des schémas prescriptifs régionaux n’était guère populaire dans cette assemblée, nous en parlerons pourtant ensemble dès demain. Et je subodore que l’adoption du suffrage universel direct pour les intercommunalités, sur lequel les oppositions ici sont encore vives, n’est qu’une question de temps, car elle s’inscrit de toute évidence dans l’histoire.

Tout aussi inacceptable dans le texte qui nous est arrivé de l’Assemblée, le refus de voir naitre une collectivité unique d’Alsace, malgré la volonté clairement exprimée des élus du peuple et des habitants. De quoi avons-nous peur ? Il faut faire confiance aux territoires, nous le répétons suffisamment dans cette enceinte. La question alsacienne révèle en tous cas l’absence totale de cohérence et de méthode de cette réforme.

L’absence de méthode saute aux yeux ! On aurait pu penser que c’est convaincu de la justesse de son analyse – « les régions françaises sont trop petites » – que le gouvernement taillerait à la hussarde cette nouvelle carte, en assumant, même si c’est plus que discutable, son refus de toute concertation en amont de l’établissement de la carte. Mais l’exemple de l’Ouest montre qu’il n’en est rien : Autoritarisme d’un côté, l’Alsace ; faiblesse de l’autre, Bretagne, Pays de la Loire, où le poids des barons socialistes est trop fort.

Je vais revenir un instant sur la situation de l’Ouest de la France. Quelle catastrophe, M. le Ministre, quel aveu d’impuissance de la part de l’Etat. L’incohérence est forte, et la crédibilité de cette réforme s’est délitée au fil de la Loire. Nantes et Rennes devaient être demain dans la même région, c’était une évidence. C’était une logique culturelle d’abord, d’un territoire breton vécu et identifié. C’était une logique économique, avec aujourd’hui un Pôle métropolitain unique Brest-Nantes-Rennes-Angers, un rapprochement fort des universités. C’était une logique d’aménagement du territoire, puisque c’est bien cet axe Nantes-Rennes qui influe sur les autres territoires des deux régions administratives, qui ne sera même pas chapeauté par une région unique, alors que nous allons voter la semaine prochaine des schémas prescriptifs d’aménagement du territoire. On est donc dans l’absurdité la plus totale. Malgré tout, le poids de l’immobilisme a prévalu et je regrette vraiment que l’Etat ne soit pas allé au bout de la logique. Il y avait une seule logique: à partir du moment où vous avez accepté une grande région Aquitaine et que donc la région Centre se retrouvait seule, la carte sautait aux yeux. Nous avions trois régions, il fallait en faire deux, il fallait couper les Pays de la Loire en deux. C’était la solution. L’Etat aurait dû prendre ses responsabilités. Il ne peut pas dire qu’il les prend ailleurs et qu’il ne les prend pas là. Aujourd’hui, on se retrouve donc avec des régions qui sont trop petites, notamment au niveau de la région Centre.

Néanmoins, M. le Ministre, je veux rappeler que la responsabilité n’est pas que celle de l’Etat. Que de postures, que de virements de bords, que de louvoiements, de la part des élus de l’Ouest concernés, en Bretagne et en Pays de la Loire. Vous n’avez vraiment pas été aidé par des élus qui ont préféré la posture à un véritable débat. Réclamer à la tribune « la Bretagne historique », c’est facile, je peux le faire aussi. Ca ne règle pas le problème. Nous savions tous qu’il n’y avait aucun consensus, notamment au niveau de la Loire-Atlantique et des élus nantais, dont l’avis comptait, autour de la Bretagne historique. Il fallait donc trouver une autre solution, soit que l’Etat prenne ses responsabilités comme il les a prises ailleurs – pour construire deux régions claires, une région Val de Loire et une région Bretagne Armorique – soit qu’il relance le débat dans les territoires à l’échelle des départements. Mais vous n’avez rien fait de tout ça. Et effectivement, les élus ont préféré la posture, parce que, fondamentalement, la plupart des élus socialistes de l’Ouest qui se sont exprimés voulaient le statu quo. Ils l’ont obtenu, pour des calculs politiques de court terme. Je continue de penser que la proposition que nous avons faite avec un certain nombre de parlementaires écologistes et socialistes, d’une région unique Bretagne-Pays de la Loire avec, à l’intérieur, une entité politique bretonne à cinq, en partant des départements (et on va aller ailleurs vers des fusions de départements), était une bonne réponse à la complexité de la situation, plus que de rester simplement sur le slogan de la réunification de la Bretagne. Nous en sommes loin mais je pense qu’il nous faudra y revenir.

Cette loi a finalement témoigné de l’incapacité dans notre pays à organiser le débat public sur le territoire, forger des compromis, des dynamiques, des consensus. Une réforme territoriale ne peut être menée qu’avec et pour les citoyens et les acteurs des territoires. Les mécanismes de participation citoyenne que nous proposions ont été systématiquement rejetés. Ce texte de loi ne fait pas avancer d’un pouce la démocratie participative locale. C’est regrettable parce qu’elle pourrait être complémentaire de la démocratie représentative et enrichir le débat et les décisions des représentants élus. Redonner le désir du débat public, de l’investissement politique, du vote tout simplement, alors que l’abstention se développe pour les élections territoriales. Laisser une place pour la consultation et l’initiative citoyenne dans les processus de redéfinition des limites territoriales est aujourd’hui une nécessité pour certains territoires. Ce projet de loi ne règle donc rien sur ce point, c’est encore là une occasion manquée.

Autre point : En décembre 2015 se tiendra au Bourget la conférence des parties à la convention de l’ONU sur le changement climatique. Enjeu majeur pour l’avenir de l’humanité, temps fort pour le rôle de la France sur la scène internationale, ce sommet doit être au premier plan des débats qui animeront notre pays en décembre prochain parce que la mobilisation des territoires et des citoyens sont des leviers indispensables pour enrayer le dérèglement climatique en cours. Il nous semble que les débats vont se brouiller entre les élections régionales et le sommet sur le climat qui sont totalement concomitants. C’est d’autant plus problématique que les régions jouent un rôle de plus en plus prépondérant dans la lutte contre le changement climatique : cheffes de file sur les compétences énergie-climat depuis la loi sur les métropoles, bientôt en charge de l’élaboration d’un schéma prescriptif d’aménagement durable du territoire, incluant le schéma régional air énergie climat (SRCAE). Organiser les élections régionales pendant la conférence sur le climat n’est donc pas simple. Je vous avais questionné sur ce point, M. le Ministre, votre réponse m’avait, je l’avoue, un peu laissé sur ma faim, et je continue de penser qu’il serait plus logique de repousser au début 2016 les élections régionales.

Au final, j’ai le sentiment que cette réforme des délimitations des régions, qui aurait pu emporter l’adhésion des citoyens, parce qu’il existe une demande forte de rénovation de la vie publique, va continuer d’alimenter la suspicion et l’anxiété sur la capacité de l’Etat à mener des reformes cohérentes.

Tout ce que je viens de dire pourrait malheureusement se résumer en une formule : déficit démocratique. Les écologistes ont de multiples propositions visant à renforcer la démocratie locale, nous en avons débattu sans succès dans le cadre de ce projet de loi, nous les remettrons en débat dans le cadre du projet de loi NOTRe. Pour l’instant, l’absence de dispositions visant à rénover la démocratie locale, volet pourtant essentiel dans cette batterie de textes de réforme territoriale est réellement problématique et inquiétant, l’augmentation de la taille et des pouvoirs des régions doit s’accompagner d’un renforcement de la démocratie à l’échelle régionale. C’est une évidence, pourquoi ne l’avons-nous pas fait ?

Bref, une méthode contestable, très peu d’avancées positives contenues dans ce texte, le groupe écologiste réserve son vote aux évolutions qui pourraient encore être faites sur ce texte au Sénat, mais nous sommes à ce stade sans guère d’illusions sur l’issue de ce rendez-vous manqué.

 

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