« Dépasser les logiques sectorielles et les intérêts particuliers (…) et construire une méthode pour un accord économique, social et environnemental global qui ne soit pas qu’un horizon utopique, mais décliné en étapes et accords précis, notamment sur l’urgence climatique, c’est l’enjeu de ce Sommet de la terre. » Par Ronan Dantec, sénateur de Loire-Atlantique et porte-parole de réseaux mondiaux de collectivités locales dans la négociation climatique. Le sommet se tiendra du 20 au 22 juin à Rio de Janeiro (Brésil).
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Vingt ans après l’espoir généré par le sommet de 1992 et la prise de conscience de la finitude et de la fragilité de la planète, le sommet de la Terre qui s’ouvre cette semaine à Rio ne suscite plus guère que méfiance et fatalisme.
Alors que tous les clignotants sont au rouge, que l’extrême gravité du réchauffement climatique est connue de tous, que la compétition pour les matières premières, l’énergie, le sol, les métaux s’exacerbe, la communauté mondiale se révèle toujours aussi incapable d’imaginer des régulations à la hauteur des défis. Elles sont pourtant vitales si nous ne voulons pas assister impuissants à des replis nationalistes annonciateurs d’affrontements violents. Dans cette urgence, il n’y a pas de place pour la lassitude et le défaitisme. Et, malgré les chroniques d’un échec annoncé, il faut résolument prendre les chemins de Rio pour y dessiner collectivement, face aux risques de désastre, les contours d’une réponse partagée.
Mais il ne servirait à rien d’aller à Rio sans
tirer les enseignements de la décennie écoulée. Depuis dix ans, depuis Seattle et Johannesburg, le monde n’a pas réussi à trouver le compromis, pour ne pas dire la synergie, entre économie mondialisée et partage des richesses, développement des classes moyennes et protection de l’environnement. Bien au contraire, le capitalisme financier a fragilisé la durabilité des développements et exacerbé les écarts de revenus. Et les nouvelles classes moyennes des pays émergents, espoir de stabilité politique et démocratique, ont surtout contribué, en reproduisant le modèle de surconsommation occidentale, à rendre encore plus insoutenable la pression humaine sur les ressources de notre petite planète.
Il y a vingt ans à Rio, l’URSS venait de s’écrouler et la Chine se faisait discrète après la tragédie de Tian’anmen. Un Occident peu contesté dans son leadership pouvait accorder sa mauvaise conscience et sa crainte du risque écologique avec la demande de développement des pays du Sud. Vingt ans après, le monde redécouvre des tensions de blocs dont la Syrie est aujourd’hui une mise en scène sanglante. La Russie a été trop longtemps humiliée par un Occident irresponsable et revanchard qui s’est révélé incapable de l’accompagner dans sa transition démocratique. La Chine, leader des pays émergents, a bouleversé, par la rapidité de son développement, des représentations issues de deux siècles de colonisation qui faisaient du bloc Europe-Amérique du Nord le centre de toutes les civilisations. Et il est probable que cette vision soit encore profondément présente dans les imaginaires occidentaux. Il faut donc déconstruire ces représentations pour, à Rio, défendre de nouveaux cadres de régulation.
Il ne peut y avoir d’accord sur les grandes questions environnementales s’il n’y en a pas sur les échanges économiques. C’est ce qui s’est joué dans l’échec des négociations climatiques à Copenhague. La seule perspective qui peut permettre une dynamique de négociation, c’est une vision partagée de la convergence des grandes économies (des anciens pays développés et des émergents) vers une réelle égalité de développement humain au milieu du XXIème siècle. La garantie d’accès à ce développement, qui ne se limite pas à la consommation mais doit intégrer évidemment santé, éducation, libertés, est le préalable à tout accord sur l’environnement. Si cette perspective est clairement affirmée et assumée par les pays du Nord, alors il sera possible de travailler sur un modèle de production et de vie quotidienne soutenable pour la planète, économe en énergie, sol et matières premières. C’est ce débat qui devrait animer le sommet, ce pourrait être la définition de l’économie verte !
Mais cette nécessité d’un « deal planétaire global » préalable à la conclusion de tous les accords sectoriels ne doit pas être un discours utopique de plus ! Il y en a déjà trop ! Il s’agit surtout de trouver la méthode pour arriver à ce point de compromis, se mettre d’accord sur les chemins comme sur les délais.
Le grand espoir de la négociation climatique de Durban est de s’être donné du temps avant justement un accord incluant pour la première fois tous les grands émetteurs de CO2 de la planète, du Nord comme du Sud. Nous devons inscrire Rio dans le même calendrier et ouvrir la négociation. A ce stade, il y a évidemment plus de questions que de réponses. Quel est, par exemple, le différentiel de développement –pour ne pas dire de points de croissance tant nous connaissons la faiblesse de l’indicateur- acceptable entre pays émergents et occidentaux pour la durabilité de leurs économies respectives ? Quels niveaux de transferts de technologie, nécessaires à la baisse de l’empreinte écologique, devons-nous assurer vers le Sud en échange de la préservation de certaines filières industrielles, indispensable à la cohésion sociale du Nord ? Et dans ce cadre, quels accords sur la monnaie et pour un strict encadrement de la finance mondiale ?
Il ne s’agit pas d’ignorer la difficulté intellectuelle et culturelle de l’exercice. Il s’agit juste d’être convaincu de la nécessité de ce dialogue. Les crises économiques actuelles ont au moins démontré une chose : laisser aux mécanismes de marché et à la foi aveugle dans le libéralisme la responsabilité de trouver des équilibres et de tracer des perspectives de développement ne marchera jamais et nous mènera, dans un avenir proche, à une crise écologique systémique et à des confrontations qui ne se régleront plus devant les tribunaux de l’OMC. C’est autour de ce constat partagé, et des craintes réelles de tous les dirigeants de cette planète d’une crise majeure, que peut se trouver la dynamique de Rio.
Dans ce cadre, et cela pourrait paraître paradoxal, jouer de la menace peut d’ailleurs aussi être un levier de la recherche de régulation. Malgré ces difficultés financières, l’Europe a toujours une voix qui compte dans le concert international. La stratégie qu’elle a développée à Durban, en menaçant de rompre les négociations sur l’avenir du protocole de Kyoto, a fait bouger les lignes et permis de nouvelles alliances avec les pays les plus pauvres et les états océaniens menacés par la montée des eaux. C’est cette Europe-puissance qui doit faire entendre sa voix à Rio : prête pour le deal global, mais capable aussi de s’opposer à un système devenu fou si les autres grandes puissances ne veulent pas entendre raison. Certaines mesures protectionnistes aux frontières de l’Europe pourraient ici jouer un rôle d’aiguillon pour débloquer les discussions. Dans cette optique, le rôle du couple franco-allemand reste essentiel et nous attendons tous à Rio que la parole française porte des perspectives claires et des stratégies de court et moyen terme crédibles.
Autour de cette recherche du « point d’équilibre mondial », la société civile, qui sera très présente à Rio, aura aussi un rôle clé à jouer. Elle ne peut pas, elle non plus, ne pas se réinterroger sur ses manières de faire. Porter un discours généreux, puis dans les couloirs des sommets, limiter son propre lobbysme à des intérêts particuliers, aussi estimables soient-ils, ne suffit pas et ne marche pas. Elle doit, elle aussi, s’investir dans la recherche de réponses qui nécessite des dialogues-confrontations entre des groupes, syndicats, ONG, entreprises, plus habitués à s’opposer qu’à réfléchir ensemble. Il faut ici aussi sortir des paresses intellectuelles. Pour ne prendre qu’un exemple, comment est-il possible pour certains mouvements alter-mondialistes de faire encore de Chavez un héros de la révolution planétaire, alors que nous assistons tous impuissants, dans les sommets climatiques, à une perpétuelle obstruction de la part de la diplomatie vénézuelienne, toujours prête à aider ses amis d’Arabie Saoudite et des autres pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), tous bien plus soucieux de leurs intérêts financiers et de la rente pétrolière que des conséquences sociales et écologiques terribles pour les pays les plus pauvres du réchauffement en cours.
Dans cette mobilisation, les élus locaux et régionaux ont aussi un rôle majeur à jouer. L’émergence, ces dernières années, des réseaux des collectivités locales dans la gouvernance mondiale est un élément intéressant dans la perspective de rapprochement des points de vue, car les élus locaux partagent aujourd’hui, quelle que soit leur nationalité, des cultures communes nourries de leurs confrontations quotidiennes au développement non durable, aux problèmes de pollution et d’accès aux services essentiels. Nous devons mieux nous appuyer sur ces responsables politiques qui peuvent, par leur légitimité démocratique et leur proximité avec les délégations nationales, les aider à dépasser la défense de leurs seuls intérêts nationaux. Il faudra à Rio être attentif aux propositions portées par ces réseaux de collectivités locales. L’organisation Cités et gouvernements locaux unis (CGLU) propose par exemple de reconnaître la culture comme quatrième pilier du développement durable. Et, il ne faudra jamais perdre de vue qu’au final, c’est bien l’addition des actions menées au niveau local qui permettront de répondre aux grands objectifs mondiaux, sociaux et environnementaux. Fournir aux territoires du Sud les moyens de cette action est aussi un enjeu de ces grandes négociations mondiales.
Aller à Rio pour s’inscrire dans un nouveau cycle de négociation autour d’un accord global, c’est la seule ambition possible et c’est un challenge dont nous mesurons toutes les difficultés. Ce cycle s’appuiera évidemment sur les avancées concrètes du sommet. Elles seront précieuses. Sur certains domaines, on peut espérer que l’urgence permette un accord entre les Etats. C’est, par exemple, le cas sur la gestion commune des océans dont la surexploitation n’est plus tenable. Les moyens donnés à l’initiative de Ban Ki Moon « Energie durable pour tous » dira aussi la réalité de la volonté des pays riches à accompagner sérieusement le développement des territoires les plus pauvres, notamment en Afrique. Plus globalement, la gouvernance mondiale étant l’une des questions centrales de Rio+20, il faudra être attentif aux propositions des pays du Sud. La création d’un Conseil du développement durable, portée par le Brésil, s’inscrivant dans la recherche de ce « deal global », est probablement par exemple un préalable à la mise en place d’une Organisation mondiale de l’environnement, avec un véritable statut d’agence que ne possède pas aujourd’hui le Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE).
Dépasser les logiques sectorielles et les intérêts particuliers, pour les états comme pour la société civile, et construire une méthode pour un accord économique, social et environnemental global qui ne soit pas qu’un horizon utopique, mais décliné en étapes et accords précis, notamment sur l’urgence climatique, c’est donc l’enjeu de ce sommet de la Terre. Nous n’allons pas à Rio pour nous lamenter sur les retards accumulés, même s’il ne s’agit pas d’occulter la gravité de la situation, nous allons à Rio pour redéfinir collectivement des cadres et des perspectives d’une action à la hauteur des enjeux. Nous allons à Rio affirmer qu’il n’est jamais trop tard pour la planète et la fragile humanité qu’elle abrite.