Ronan Dantec a particulièrement insisté dans ce débat sur le plan de relance autoroutier en passe d’être scellé entre l’Etat et les sociétés d’autoroutes. Il a affirmé son opposition à la prolongation de trois ans des concessions en échange d’investissements de la part des sociétés privées concessionnaires.
Proposition de loi n°59 relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’agence de financement des infrastructures de transports
Madame la Présidente, Madame l’auteure,Madame la Rapporteure,
Monsieur le Ministre,Chers collègues,
Voilà une proposition de loi qui tombe à point nommé compte tenu de l’actualité – pour le moins chargée – touchant les transports et leur financement.
Nous soutenons cette proposition de loi sur le fond parce que la privatisation des sociétés d’autoroute en 2005 a été un véritable scandale. Le gouvernement de Dominique de Villepin a commis une faute lourde en privant les budgets publics d’une manne financière considérable au profit de la rente de sociétés privées au détriment du financement des transports. Selon les projections qui ont été faites, l’exploitation des sociétés d’autoroute aurait pu rapporter plus de 37 milliards d’euros de dividendes à l’Etat d’ici à 2032, date d’échéance médiane des contrats de concession, à comparer donc aux 14,8 milliards obtenus par la privatisation. En outre, cette somme a davantage servi au désendettement qu’au financement des infrastructures de transports puisque seuls 4 milliards d’euros ont été attribués à l’AFITF, le restant étant injecté au budget général.
Le groupe écologiste soutient donc cette proposition de loi sur le fond et, même s’il est peu probable qu’elle soit adoptée, elle présente l’intérêt de poser le débat et nous soutiendrons toute initiative parlementaire permettant d’approfondir ce dossier et de forger des conclusions partagées sur ces privatisations, je fais écho au débat que nous avons eu en commission ce matin.
Plus généralement, les flux financiers et les besoins d’investissements liés aux transports routiers doivent aujourd’hui être remis à plat.
Je reviens très rapidement sur l’urgence de la mise en œuvre de l’écotaxe pour assurer les budgets consacrés aux transports, c’est un souci que nous partageons. Le manque à gagner dû à sa suspension représente 800 millions d’euros annuels pour l’AFITF et 150 millions pour les collectivités locales, et cette perte sèche remet en cause le financement du report modal, pourtant au cœur des stratégies affichées par l’Etat. Nous ne devons donc pas perdre de temps sur ce dossier de l’écotaxe, et l’Etat devra dès lors trouver les moyens de récupérer les recettes nouvelles pour les sociétés concessionnaires du fait du report prévu d’une partie du trafic sur les autoroutes, l’effet d’aubaine lié au report de trafic étant estimé entre 250 et 400 millions d’euros. La première des mesures à prendre serait de se doter d’un dispositif rigoureux de mesure de ce report de trafic, mesure a priori acceptée par l’association des sociétés françaises d’autoroutes que j’ai auditionnée dans le cadre de mon rapport budgétaire sur les transports routiers.
L’Etat manque donc d’argent, nous le savons, et la tentation est grande de privilégier des contrats de type PPP pour financer les investissements, quitte à privilégier un peu le court terme au long terme. Ainsi, un plan de relance autoroutier est dans les tuyaux. Il s’agit de prolonger de 3 ans des concessions attribuées à trois sociétés sans appel d’offre, en échange de 3,5 milliards d’investissements par les sociétés d’autoroute pour une vingtaine d’opérations. Nous nous opposons aujourd’hui clairement à ce montage financier notamment car il prive pendant trois années supplémentaires l’Etat de ressources pérennes d’un niveau très élevé, liées à l’exploitation des autoroutes. On ne peut pas dire de façon consensuelle qu’il ne fallait pas privatiser les autoroutes et prolonger les concessions. Ce n’est pas lisible politiquement.
Concrètement, ce plan vise à réaliser des opérations de renforcement de la capacité de tronçons existants, de création de nouveaux tronçons autoroutiers pour terminer des opérations de prolongations de réseau concédé ou permettre des interconnexions. On nous dit que ces opérations sont toutes « utiles » ; nous nous interrogeons. A titre d’exemple – mais ce n’est évidemment qu’une hypothèse puisque le Parlement n’a pas la liste officielle des projets concernés par le plan de relance – on évoque une opération de prolongation de 8 kilomètres sur l’A40 à hauteur de Nangy ou de Findrol en direction de Thonon, projet qui suscite des craintes au plan environnemental. Qu’en est-il ainsi de la préservation de la tourbière de Lossy qui accueille des espèces protégées en bordure est de la RD 903 au niveau du carrefour des Chasseurs ?
Monsieur le Ministre, le débat sur cette importante négociation avec les autoroutiers ne doit pas être escamoté, comme la droite a pu le faire en son temps sur le dossier des privatisations. Aussi je vous demande que la représentation nationale ait accès à la liste des opérations projetées et aux données financières du plan de relance autoroutier, et qu’un débat transparent associant le Parlement soit engagé avant toute décision de l’Etat.
Je voudrais revenir sur l’objet même de ce plan de relance : obtenir des investissements sur le réseau auprès des sociétés d’autoroute. La Cour des Comptes, dans un rapport en date du 24 juillet 2013, indique qu’ « en raison de la maturité du réseau, l’État a accepté de compenser par des hausses de tarifs un grand nombre d’investissements de faible ampleur, dont l’utilité pour l’usager n’était pas toujours avérée, ou qui relevaient des obligations normales des concessionnaires. » Parmi les vingt opérations du plan de relance autoroutier, certaines ne relèvent-elles pas des obligations contractuelles des autoroutiers ? La question mérite d’être posée à la lumière des observations de la Cour des Comptes qui dénonce le déséquilibre des rapports contractuels entre l’Etat et les concessionnaires et les difficultés pour l’Etat de contrôler les tarifs des autoroutes et le respect des obligations des concessionnaires.
On peut se questionner sur un autofinancement de ces opérations compensé par des hausses de péage, en étant très vigilant sur le fait que ces hausses ne soient pas supérieures à l’équilibrage des comptes.
Et, si on souhaite réduire les coûts d’exploitation de ces sociétés privées en échange de leurs investissements, nous pouvons même les aider et ce serait particulièrement vertueux. Nous savons par exemple que les 44 tonnes à 5 essieux causent une usure accélérée des chaussées. J’ai proposé dans mon rapport sur le budget des transports routiers de surtaxer ces poids lourds dans le cadre de la réforme de l’écotaxe. Cela pourrait constituer une mesure dissuasive ou une recette nouvelle pour le financement des transports. Les sociétés d’autoroute, ayant elles-mêmes constaté les dégradations accélérées des 44 tonnes 5 essieux, pourraient soutenir cette mesure.
Je tiens à mettre un dernier sujet sur la table, Monsieur le Ministre, celui des modulations de péages autoroutiers des poids lourds selon les normes d’émission Euro. En émettant un avis négatif sur mon amendement d’application de ces modulations lors de la loi votée en 2013, le gouvernement n’a pas souhaité une mise en œuvre effective de cette possibilité, en la renvoyant à la Saint Glin-glin, ou plus précisément au renouvellement des concessions, soit en moyenne 2032. Ces normes concernent notamment les émissions de particules fines et d’oxydes d’azote qui constituent toujours un grave problème de santé publique. Je reviens donc à la charge et c’est pourquoi j’ai déposé un amendement au nom du groupe écologiste visant à rendre applicables ces modulations de péage dès 2016, surtout dans l’hypothèse de cette PPL de retour des autoroutes dans le patrimoine national.
Pour conclure, la question du transport nécessite une approche globale de la part de l’Etat. Celui-ci doit disposer d’une maitrise forte en termes de planification des infrastructures et de recettes (péages, écotaxe et autres impôts). La privatisation des autoroutes a participé au morcellement de cette nécessaire planification. Plus vite on en sortira, plus vite l’Etat retrouvera des marges de manœuvre sur ses politiques de transport, et pourra engager sur le secteur des transports cette nécessaire transition énergétique sur laquelle se sont engagés le Président de la République et le gouvernement.