25 février 2015. Portrait de Ronan Dantec dans Libération : »Ronan Dantec. Une vie millefeuille »

La rénovation touche aussi le palais du Luxembourg où ce sénateur vert, opiniâtre et touche-à-tout, recherche l’équilibre.

Portrait réalisé par Sibylle Vincendon. Photo : Audoin Desforges

Portrait Ronan LibAu Sénat, quand on ne défend pas les villages et la France de toujours, on fait tache. Ronan Dantec, l’un des dix sénateurs écologistes, est de ceux-là. Tandis qu’en janvier, ses collègues, gauche et droite confondues, détricotaient consciencieusement la réforme territoriale pour que surtout rien ne bouge, lui s’obstinait à plaider pour les régions, les grandes villes et la vie moderne. Quinze jours à tenter de simplifier le millefeuille territorial, 57 amendements déposés, le plus souvent retoqués avec constance par le reste de l’hémicycle. A un moment des débats, Dantec s’exclame : «J’avais un instant caressé l’espoir d’en passer deux de rang, ce qui aurait été une première !» Un exploit même. Le terrain est hostile mais l’opiniâtre élu de Loire-Atlantique jamais découragé. Sur la transition énergétique le mois suivant, il en fait passer une trentaine, c’est dire…

Ronan Dantec, ancien vice-président de Nantes Métropole, urbain et régionaliste convaincu, n’a aucune de ces qualités pépères et conservatrices qui font le bon sénateur. Nous voilà attablés au restaurant de la Haute Assemblée, devant une carte sur laquelle on peut lire : «Mesdames et messieurs les sénateurs vous recommandent leurs vins.» Chacun son terroir, sauf pour Dantec, qui «n’y connaît rien en vin». Quand il dit qu’«au Sénat, on a deux siècles de retard», on pouffe avec lui. Mais comme il ajoute aussitôt que «le monde entier ne pense pas comme Paris ou Nantes», et qu’il faut «savoir écouter ce que disent les autres», on comprend que le personnage va être un rien plus complexe que prévu.

C’est un natif de Brest, fils d’un «cadre maison» chez Thomson, syndicaliste FO, militant socialiste. Un grand-père ravitailleur de maquis, l’autre qui avait consacré une des pièces de son F3 à une immense volière. Engagement et nature. Dantec est surtout un Breton qui avait 15 ans quand il a «vu le pétrole de l’Amoco Cadiz arriver sur le sable». Et il avait 18 ans à Plogoff. La lutte contre le projet de centrale nucléaire à cette extrémité de la Bretagne est son «événement politique fondateur». Plogoff, un combat, une victoire, pas de dégâts. La joie en prime. «Qu’est-ce qu’on a ri ! La lutte, c’est drôle et c’est fraternel.» Ronan Dantec dit de lui-même qu’il n’est «pas l’image de l’écolo triste». C’est vrai. On a à peine passé les hors-d’œuvre qu’on a déjà bien rigolé.

Mais on n’a encore rien vu. On apprend d’abord qu’il est vétérinaire. Non pratiquant. «J’étais bon élève, ma mère y veillait. Je suis arrivé à l’école vétérinaire après deux ans de prépa, et là, c’était clair : j’avais six ans devant moi pour faire des choses. Quatre ans de véto, deux ans d’objection de conscience.» Des choses ? De la politique. Ronan Dantec fonde en 1984 la section Loire-Atlantique des Verts. Et se vautre aux régionales de 1986. «Mais à chaque fois que je me plante en politique, je fais quelque chose d’autre. Alors, j’ai créé AlterNantes, une radio écolo-régionaliste.» Qui existe toujours, sans publicité et sans subvention. Nouvel essai politique aux municipales nantaises de 1989. Nouvel échec. Et nouveau départ. «J’ai créé ma boîte d’expositions.» On termine à peine le plat principal et voilà qu’après l’école véto, la radio et la politique, une nouvelle porte s’ouvre encore…

Le sénateur a très tôt collectionné les journaux, affiches, livres, objets, photos, gravures, chromos du début du XXe siècle. «Ronan est un curieux multiforme pour tout ce qui concerne les cultures populaires, la musique, le cirque», dit Mireille Ferri, son ex-femme, ancienne vice-présidente écologiste du conseil régional d’Ile-de-France, mère de leurs deux filles. Colonisateur du moindre mètre carré libre pour stocker son trésor, il le fait vivre en l’exposant partout. D’ailleurs, il n’aime pas trop le terme collection. Lui parle d’ «outil de travail». Sa compagne d’alors raconte le travail en question : «C’était très artisanal. Il fabriquait même les vitrines. On exposait là où sont les gens, y compris dans les centres commerciaux.»

De sa collecte, Dantec a tiré plus de 300 expositions et «une demi-douzaine» de livres dont il dit qu’ils «ne révolutionnent pas la connaissance de la Belle Epoque». Il a quand même fallu les protéger de la convoitise des voisins de bureau à Libé. De beaux livres et, en réalité, très analytiques. Il y a un siècle… le dimanche (1) fait réfléchir aux débats d’aujourd’hui.

La politique pendant ce temps-là ? La voilà qui revient en 2001. L’«auteur-camionneur-interprète» (de ses expositions) devient vice-président de Nantes Métropole. C’est là que prend forme ce qu’on pourrait appeler la méthode Dantec. A savoir : 1. «Prendre le monde tel qu’il est et savoir où je veux l’emmener» ; 2. «Dire comment on fait à chaque étape et passer un cran» ; 3. «Pour aller de A à B, ne pas raconter B avec de belles phrases mais expliquer comment s’y rendre». Concrètement, cette philosophie lui donne la conviction que «les deux gauches [écologiste et socialiste, ndlr] doivent gérer ensemble» et que «se rapprocher de Mélenchon n’a aucun sens». Message pour Cécile Duflot. A Nantes, Dantec a toujours travaillé avec Jean-Marc Ayrault, qui lui a permis d’élaborer en 2006 «un plan climat qui reste une référence en France». Mais qui le sait ? «La machine médiatique a besoin de gens qui clivent énormément, pas de ceux qui cherchent le point d’équilibre, constate l’intéressé. Moi, je suis plutôt dans la position du médiateur. J’ai coordonné tous les réseaux possibles et imaginables de collectivités. Mon boulot, c’est plutôt de rapprocher les points de vue.» Cela ne marche pas toujours. Sur Notre-Dame-des-Landes, il n’a pas réussi à convaincre Ayrault de cesser de s’accrocher à des «données malaxées par l’Etat dans le sens du porteur du projet».

Sauf que ce soir-là, on n’a plus le temps d’en parler. Nous voilà debout dans le vestibule, manteau sur le dos, quand tout d’un coup, Ronan Dantec dit : «Et je ne vous ai pas parlé de mon travail dans les négociations climat.» Pardon ? C’est toujours pareil : l’essentiel arrive quand on se quitte, entre deux portes. Donc, l’essentiel, le voilà. Quand il était élu à Nantes, Ronan Dantec est allé un jour voir Frédéric Vallier, à l’époque directeur adjoint du cabinet de Jean-Marc Ayrault, en lui tenant ces propos (c’est Vallier qui raconte) : «Je pense que les gouvernements locaux ne sont pas représentés dans les négociations climatiques internationales alors que ce sont les villes ou les régions qui vont appliquer les mesures.» Les deux ont alors démarché les réseaux de collectivités, obtenu mandat pour les représenter, puis ont squatté les conférences climat de l’ONU. «Au début, les organisateurs nous demandaient ce qu’on faisait là. Aujourd’hui, le rôle des villes est reconnu par les Nations unies, poursuit Vallier. Ça, c’est le fruit du travail de Ronan Dantec.» Evidemment, en dessert, on avait pris un millefeuille.

1) Editions Ouest-France, 140 pp., 9,90 €.

EN 7 DATES
1963 Naissance à Brest. 1984 Participe à la création des Verts en Loire-Atlantique. 1986 Echec aux régionales, lance la radio AlterNantes. 1989 Crée une société d’expositions. 2001 Vice-président de Nantes Métropole. 2007 Porte-parole climat de l’Organisation mondiale des villes. 2011 Elu sénateur.

 

 

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