Total reconnu coupable dans le dossier de l' »Erika » : il y a une justice pour la mer
Papier de Cathy Lafon, journaliste à Sud-Ouest, sur son blog « Ma planète » (ici)
Mauvaise semaine pour Total. Mardi 25 septembre, la Cour de cassation, a refusé de suivre l’avis de l’avocat général, et confirmé la décision de la Cour d’appel de Paris du 30 mars 2010 qui prononçait la condamnation pénale de Total et consacrait une sorte de préjudice écologique dans l’affaire du naufage de l' »Erika ». Jugeant ainsi que les juridictions françaises étaient bien compétentes pour intervenir au-delà de la mer territoriale et ainsi sanctionner les responsables de la catastrophe du pétrolier et de la marée noire qu’elle avait entrainée.
Pire pour le groupe pétrolier : la responsabilité civile de Total, écartée en appel, a également été reconnue par la Cour de cassation, Total ayant, selon elle, commis une « faute de témérité ».
« Une traînée de poudre sur l’océan mondial »
Par ce jugement décisif, la Cour de cassation vient de prononcer un arrêt historique et innovant, qui réjouit les écologistes. Pour l’association Robin des bois, une des premières organisations environnementales à réagir hier, c’est une décision qui tient du « miracle » : « Tous les maillons du trafic maritime, armateur, gestionnaire, société de classification et affréteur, sont reconnus responsables du naufrage de l' »Erika » et de ses conséquences. Cet arrêt de la plus haute juridiction française va se répandre comme une traînée de poudre sur l’océan mondial. »
« C’est une victoire totale », s’est exclamée de son côté Corinne Lepage, avocate de dix communes du littoral, devant la presse, après la lecture de la décision de la Cour. « C’est 13 ans de travail, 13 ans de bataille de la part des collectivités locales et un très grand jour pour tous les défenseurs de l’environnement », a t-elle renchérit. Côté associations, la décision a été accueillie avec beaucoup d’émotion par Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) : « On trace l’avenir. On ne pourra plus polluer comme par le passé. Je suis très ému », a-t-il ajouté. Quant à Eva joly, la juriste et ex-candidate EELV à la présidentielle, elle s’est réjouie d’une décision « qui reconnaît le préjudice environnemental de façon plus vaste », car c' »est un progrès, une grande avancée. » Les deux sénateurs écologistes bretons, Ronan Dantec et Joël Labbé, aux premières loges lors de la marée noire qui a souillé leur région et 400 kilomètre du littoral français, ont déclaré « partager le soulagement des habitants des élus des littoraux touchés par la pollution de l’Erika ».
Les écolos étiquetés comme tels, ne sont pas les seuls a avoir laissé éclater leur satisfaction : Jacques Auxiette, président de la région Pays-de-la-Loire, a salué lui ausssi « une victoire totale, et quelque peu inespérée » et émis le souhait de « travailler avec les régions concernées de l’Ouest, pour voir ce qui doit être précisé au niveau du droit français, européen et international ». Bruno Retailleau, président du Conseil général de Vendée et sénateur UMP a renchéri : « La mer n’est pas une zone de non droit, n’est pas une zone d’impunité. (…) Demain nous savons que les navires poubelles seront santionnés de la manière la plus dure ». Le sénateur vendéen ne souhaite pas en rester là. Auteur d’une proposition de loi en ce sens, il veut faire inscrire le préjudice écologique dans le code civil. « J’ai demandé que ma proposition de loi soit mise à l’ordre du jour du Sénat », a-t-il déclaré hier à Ouest France.
Faire évoluer le droit maritime
Heureuse, donc, la grande famille des écolos ? Oui, mais avec un bémol : le regret des lacunes persistantes du droit actuel. Ainsi Europe Écologie-Les Verts qui se réjouit de la décision, mais appelle dans un communiqué le Gouvernement à « ouvrir les chantiers du droit de la mer et du préjudice écologique ». Il est vrai que, au-delà du fort symbole que représente la décision de la Cour de cassation, sa portée pratique ignore la non-conformité du droit civil et pénal français en vigueur en 1999 avec les conventions internationales et il est fort probable qu’elle ne soit pas applicable à l’étranger. Pour EELV : « Si un accident semblable au naufrage de l’Erika survenait aujourd’hui, il pourrait conduire au même résultat en demi-teinte : une décision française sans aucun effet juridique au-delà de nos frontières. » Ce qui manque de pertinence et d’efficacité, quand le pavillon est maltais, l’affréteur français, l’armateur et la société de contrôle italien… Où inversement, comme c’est souvent le cas.
Le préjudice écologique est enfin reconnu, mais…
L’arrêt de la Cour de cassation consacre en tout cas la reconnaissance du préjudice écologique, ce qui constitue un grand pas en faveur de la défense de l’environnement et des ressources naturelles, attendu depuis longtemps. Mais, pour les écologistes et les juristes, là aussi, il faut affiner son régime juridique, car bien des questions restent ouvertes. Ronan Dantec et Joël Labbé, s’ils saluent « l’application du principe pollueur-payeur dans la marée noire de l' »Erika », demandent le renforcement « des moyens de contrôle, réglementaires ou citoyens, de l’ensemble des activités du groupe Total en France et à l’international », tout en rappelant également que « la protection juridique des mers est encore largement insuffisante, complexe et fragile, et qu’une évolution des règles de droit est donc urgente. »
… il faut l’inscrire dans la législation
La notion de préjudice écologique et son corollaire, le principe de responsabilité environnementale, devraient être inscrits plus clairement dans la législation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, insistent les deux sénateurs bretons : « La loi du 1er août 2008 qui transpose une directive européenne de 2004 fixe en effet un cadre juridique trop vague. » Il convient donc d’établir une nomenclature précise des préjudices causés à l’environnement et d’intégrer pleinement le préjudice écologique dans les systèmes français de responsabilité pénale et civile, comme le réclament de leur côté les juristes. Et de faire ainsi preuve de cohérence avec l’inscription de la préservation des océans dans la déclaration du sommet de Rio+20… Et pourquoi s’en priver ?
Champagne !
En résumé : la décision de la Cour de cassation est formidable et pour tout dire inespérée, mais pour parvenir à une véritable protection juridique des mers, des océans et de leurs ressources, il y a encore du boulot… Jamais contents les écolos ? Mais si. Juste soucieux des précisions juridiques et législatives sans lesquelles aucune avancée en droit ne peut se faire, et sans lesquelles la protection de l’environnement tout particulièrement ne saurait être pleinement assurée. D’ailleurs, parions que les bouchons de champagne ont sauté hier soir chez tous les défenseurs de la planète : du Bollinger HVE (haute valeur environnementale), bien sûr. Quoi d’autre ?
Cathy Lafon