Alors que s’ouvre aujourd’hui un Sommet sur l’éléphant d’Afrique au Botswana, et que se tiendra jeudi une table-ronde consacrée à la lutte contre le trafic et le braconnage des espèces menacées en parallèle du Sommet de l’Elysée pour la Paix et la Sécurité en Afrique, vous trouverez ci-dessous la question posée par Ronan Dantec à Manuel Valls sur les moyens de lutte contre le trafic d’espèces protégées en France, lors de la séance de questions d’actualité au gouvernement de jeudi 28 novembre, ainsi que la réponse du ministre de l’Intérieur.
Le Sénat a adopté en mai dernier, à l’initiative de Ronan Dantec, un amendement dans la loi du 16 juillet 2013, visant à faire reconnaître les infractions en bande organisée (au sens de l’article 132-71 du code pénal), permettant d’aligner la qualification du trafic d’espèces protégées sur les trafics d’armes et de drogue.
Si cette mesure ouvre une porte vers un durcissement de l’action répressive envers les trafiquants, les avancées qu’elle représente doivent encore être précisées, notamment en matière de moyens d’enquête.
Ronan Dantec se félicite donc de l’annonce du ministre de l’Intérieur, selon laquelle le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, en cours d’examen, permettra de doter les douaniers, policiers et gendarmes des mêmes techniques spéciales d’enquête (surveillance, infiltration, sonorisation, etc.) pour lutter contre les trafics d’espèces protégées, que celles dont ils disposent pour les autres types de criminalité organisée.Ronan Dantec interroge le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, sur les moyens que la France se donne pour lutter contre le trafic d’espèces protégées
Question d’actualité au gouvernement
A Manuel Valls, jeudi 28 novembre 2013
M. le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Monsieur le Ministre, le Sommet de l’Elysée pour la Paix et la Sécurité en Afrique se tiendra la semaine prochaine. Je salue l’initiative de la Présidence d’organiser dans ce cadre un segment consacré à l’éléphant et à la biodiversité africaine, le braconnage et le trafic d’ivoire ayant des liens clairement identifiés avec les enjeux de paix et de sécurité dans la région. Selon le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) et Interpol, la criminalité contre la faune représente 15 à 20 milliards de dollars chaque année, ce qui, je le souligne, en fait le quatrième plus important trafic illégal derrière ceux de la drogue, des êtres humains et des armes. Ce type de trafics existe bien sûr aussi en Europe, et en France. Selon le rapport de l’OCLAESP (Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique), en 2012, 1 084 infractions pour des atteintes aux espèces protégées et/ou réglementées ont été constatées, ce qui représente une augmentation de 48,5 % par rapport à l’année 2011.
Au vu de la gravité et de l’urgence de la situation, la France se donne-t-elle les moyens d’agir ?
Le Sénat a adopté en mai dernier, à mon initiative, un amendement dans la loi du 16 juillet 2013, visant à faire reconnaître les infractions commises en bande organisée (au sens de l’article 132-71 du code pénal), permettant d’aligner la qualification du trafic d’espèces protégées sur les trafics d’armes et de drogue.
Nous avons donc ouvert une porte vers un durcissement de notre action répressive envers les trafiquants. Mais les avancées doivent être confirmées et nous observons aujourd’hui quatre difficultés majeures. D’abord, la cohérence du dispositif législatif, cette nouvelle qualification ne permettant pas encore, par exemple, l’accès aux techniques spéciales d’enquête applicables à la lutte contre d’autres types de criminalité organisée. Ensuite, la question des moyens : nous savons que l’OCLAESP s’est vu affecter 15 nouveaux agents, mais sur l’ensemble des champs couverts par l’Office –santé publique, environnement, déchets, dopage, agroalimentaire, etc.- et le nombre de fonctionnaires dévolus à la biodiversité reste très faible. Inquiétude également sur la capacité des différents services –les vôtres M. le Ministre, mais également ceux du ministère de l’Ecologie, ou des Douanes, etc. – à se coordonner, avec une inquiétude spécifique sur les moyens de contrôle dont disposent les administrations décentralisées, dans un contexte global de fragilisation des moyens de la police environnementale en France, que nous regrettons fortement. Enfin, la question importante de la coordination avec Interpol, institution basée à Lyon, et qui se mobilise aujourd’hui sur ces enjeux et aussi sur la table.
Bois certifié dans nos ports, civelles dans l’estuaire de la Loire, trafic d’objets en ivoire : la lutte contre les espèces protégées est également un enjeu majeur en France. Nos territoires regorgent d’une biodiversité extrêmement riche, notamment en Outre-Mer.
Ma question est donc la suivante, M. le Ministre : face à cette situation, quels moyens vous donnez-vous pour faire respecter la loi, en vous appuyant sur cette qualification du trafic d’espèces protégées en bande organisée ?
Réponse de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur :
Lutter contre les trafics que vous avez évoqués, c’est d’abord lutter contre les réseaux. C’est cette réalité que le nouvel article L. 415-6 du code de l’environnement, adopté sur votre initiative, nous permet de combattre.
Il est primordial de pouvoir réprimer de manière très dissuasive le trafic des espèces protégées, notamment lorsqu’il est commis en bande organisée. La sanction pénale peut désormais atteindre sept ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende et s’accompagner de la saisie des avoirs criminels. Mais il est exact que des marges de progrès existent encore, en particulier s’agissant des moyens d’enquête. Le Gouvernement en est pleinement conscient.
Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui est en cours d’examen, prévoit des techniques spéciales d’enquête au profit des douaniers, des policiers et des gendarmes, afin de lutter aussi contre les trafics d’espèces menacées. Désormais, les forces de l’ordre et la douane pourront utiliser les mêmes méthodes de surveillance, d’infiltration, de sonorisation et de captation des données informatiques que pour lutter contre la délinquance et la criminalité organisées.
Je ne doute pas que vous-même et votre groupe soutiendrez le recours à ce type de techniques, utiles pour lutter contre la délinquance et respectueuses des libertés fondamentales.
Les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique du ministère de l’intérieur et les douaniers disposeront donc d’un arsenal juridique performant pour lutter contre la délinquance que l’on peut qualifier d’« environnementale ». Cela est d’autant plus important que l’OCLAESP bénéficie du soutien d’un réseau de 350 enquêteurs spécialisés de la gendarmerie, répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin. Ils entretiennent des contacts riches et fréquents avec l’ensemble des administrations centrales et déconcentrées compétentes sur ces sujets. Nous avons d’ailleurs fait le choix de renforcer cet organisme en créant quinze postes supplémentaires.
Vous l’avez rappelé, ces trafics sont essentiellement transnationaux. Le travail de l’OCLAESP s’appuie donc sur le réseau diplomatique de nos quatre-vingts attachés de sécurité intérieure, et les liens noués avec Interpol sont importants.
Enfin, vous l’avez indiqué, une table ronde sur la lutte contre le braconnage d’éléphants et autres espèces protégées et contre le trafic d’ivoire se tiendra en marge du Sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique, le 5 décembre prochain.
Comme vous le voyez, nous avons conscience du problème, et nous voulons avancer.