Alors que le gouvernement vient d'annoncer que le nucléaire allait participer au financement de la transition énergétique, Ronan Dantec souligne le risque que ce scénario serve de prétexte au prolongement des centrales actuelles.

Article de Sylvestre Huet et Coralie Schaub paru dans Libération le 14 octobre 2013

Le gouvernement veut prolonger jusqu'à cinquante ans la durée de vie des 19 centrales françaises.

Faire durer pour mieux rentabiliser. Selon le Journal du dimanche, le gouvernement souhaite prolonger la durée de vie du parc nucléaire français. Jusqu'à cinquante ans, au lieu de quarante aujourd'hui, pour les 19 centrales hexagonales. La décision devrait être prise formellement le 15 novembre au Conseil de politique nucléaire. Un choix qui, cependant, ne dépend pas uniquement de l'autorité politique. Et qui ne serait pas sans conséquence sur la politique énergétique de la France.

De fait, l'annonce d'une prolongation ne constituerait pas une surprise, puisqu'elle fait partie des objectifs d'EDF depuis une dizaine d'années et qu'elle a déjà fait l'objet d'un dialogue officiel entre l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'entreprise. Dès 2009, EDF a fait part à l'ASN de sa volonté d'aller vers une durée de fonctionnement de soixante ans pour ses 58 réacteurs. L'électricien a même transmis un programme de travaux à cet effet. En juin, l'ASN, dans une lettre publique adressée à EDF, a considéré que la «méthodologie proposée est globalement satisfaisante», mais que ses décisions seront prises «réacteur par réacteur», en fonction de travaux permettant d'améliorer la sûreté afin de s'approcher des standards de l'EPR en construction à Flamanville (Manche).

Des profits. Car si le Conseil de politique nucléaire peut, en principe, recommander une telle prolongation au nom d'une politique énergétique, la décision ne lui revient pas en termes de sûreté. La loi a en effet institué l'ASN comme autorité administrative indépendante. Elle est dirigée par un collège de cinq commissaires irrévocables (durant six ans), son président étant nommé par le chef de l'Etat et les autres membres par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. Aucun réacteur ne peut ainsi fonctionner sans son autorisation. L'ASN peut les stopper à tout moment et EDF doit se plier à toutes ses inspections et prescriptions sous peine de sanctions judiciaires. Ce dispositif légal signifie que le gouvernement ne peut pas empêcher l'ASN d'arrêter provisoirement ou définitivement un réacteur nucléaire pour des raisons de sûreté... à moins de faire voter une autre loi. A l'inverse, le gouvernement peut fermer un réacteur, même si l'ASN l'autorise à fonctionner, pour des raisons de politique énergétique ou économique. Il peut également interdire toute création de centrale nucléaire, car elle suppose un décret d'initiative ministérielle. Comme actionnaire à près de 85% d'EDF, il dispose en outre de la capacité de changer son PDG ou de lui imposer une décision. Les autorisations de prolongation ne seront alors données que pour dix ans, après la visite décennale des 40 ans, le passage de tests obligatoires, les prescriptions de l'ASN respectées et son autorisation obtenue. Pour l'instant, l'ASN a autorisé, sous réserve de prescriptions, les seuls réacteurs de Fessenheim (Haut-Rhin) et du Bugey (Ain) à une exploitation jusqu'à... 40 ans.

En fait, cet allongement serait pour l'instant purement comptable. L'idée étant d'amortir le coût du parc nucléaire sur cinquante ans au lieu de quarante. Permettant ainsi à EDF d'améliorer ses profits et donc d'augmenter les dividendes versés à l'Etat actionnaire. L'électricien a déjà réalisé une opération similaire en 2003, en portant l'amortissement de ses réacteurs de trente à quarante ans. Ce qui avait gonflé ses bénéfices de près de 700 millions d'euros cette année-là. Quitte à ce que l'ASN donne son accord de principe a posteriori, ce qu'il avait fini par faire en 2009. Rien ne dit que ce sera le cas cette fois-ci. Les consignes de l'ASN sur une éventuelle prolongation à cinquante ans étaient jusqu'ici prévues pour 2015.

Scénario. En attendant, les écologistes hurlent. Pour les amadouer, Jean-Marc Ayrault avait annoncé le 21 septembre, à la Conférence environnementale, que le nucléaire participerait au financement de la transition énergétique. Entretenant le flou autour de cette «mise à contribution» financière. Certains, comme le sénateur écologiste Ronan Dantec, avaient vite souligné que ce scénario semblait reposer sur une prolongation de la durée de vie des centrales, en avertissant du risque d'un «deal» entre l'Etat et EDF. Cette fois-ci, puisque cette option se précise, la pilule ne passe pas. Dès dimanche, EE-LV dégainait un communiqué, estimant qu'«une telle décision constituerait une provocation politique, un mensonge économique et une aberration énergétique». Idem, hier, du côté de Noël Mamère, ancien EE-LV : «C'est une grande victoire pour le lobby nucléaire et la preuve que le candidat Hollande n'a jamais cru à ses promesses de réduire de 75 à 50% la part du nucléaire dans la production d'électricité [d'ici à 2025, ndlr].» A ce propos, le porte-parole de la Fondation Nicolas-Hulot, Matthieu Orphelin, pose la question :«Où est l'étude sur la façon de parvenir aux 50% d'électricité nucléaire, demandée à l'unanimité, en mai ?»

«On commence à cerner la réponse des énergéticiens à la transition énergétique : on arrête les énergies renouvelables, on freine la maîtrise des consommations, on prolonge le nucléaire et vive les fossiles !» pointe, furax, un collectif d'ONG. Pourquoi pas, après tout ? Le gouvernement est libre de fixer le cap qu'il veut. Mais alors, à quoi servirait la loi sur la transition énergétique, attendue d'ici à la fin 2014 (après avoir été repoussée) et dont François Hollande disait encore, fin septembre, qu'elle serait «une des plus importantes» du quinquennat ? «On inventerait une sorte de loi de régularisation de décisions prises avant»,ironise l'avocat Arnaud Gossement...
Sylvestre HUET et Coralie SCHAUB

 

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