Dans le cadre du débat sur la réforme de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) qui s'est tenu le 17 novembre, Ronan Dantec est intervenu au nom du groupe écologiste pour rappeler le rôle fondamental des collectivités locales dans l'action publique et leur capacité à aider l'Etat à relever les grands défis nationaux auxquels notre pays est confronté comme l'habitat - social notamment - et la transition énergétique. Il en profite également pour faire quelques propositions en termes de financement de la transition énergétique comme, par exemple, la dotation globale de fonctionnement additionnelle climat. Les écologistes s'opposent fermement à cette baisse de la DGF.

BD 2015 0775 056 SKMonsieur le Président, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, Chers collègues,

Le 13 janvier dernier, il y a dix mois, nous entamions le débat sur la loi portant nouvelle organisation de la République. J’avais déjà souligné le rôle majeur des collectivités locales dans le maintien de la cohésion sociale, pour lutter contre les exclusions et les discriminations et approfondir le vivre-ensemble qui fait le ciment d’une société.

À la fin de cette discussion, je n'avais pu que déplorer qu'elle ait tant mis en évidence la méfiance, pour ne pas dire la défiance, des territoires les uns envers les autres, alors que nous aurions dû rechercher de meilleures coopérations et bâtir des ponts entre les différents acteurs des territoires. Je ne crois pas utile de rappeler la vigueur, et même la violence, de certains propos qui ont été tenus sur les relations que ce soit entre les régions et les départements ou entre les métropoles et les communes rurales. Je regrette encore que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République n'ait pas permis d'avancer en ce qui concerne la péréquation financière et l'autonomie fiscale, voire la réforme des bases fiscales.

Les collectivités territoriales sont, au côté de l'État, le socle de l'action publique partout dans les territoires ; il semble, mes chers collègues, que nous en soyons tous d'accord.

Notre débat fait suite au vote par l'Assemblée nationale, le 20 octobre dernier, d'une baisse de 3,5 milliards d'euros des dotations aux collectivités territoriales dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2016. Le montant de la dotation globale de fonctionnement s'établira donc l'an prochain à 33,1 milliards d'euros. Une diminution supplémentaire de 11 milliards d'euros est prévue entre 2015 et 2017.

Parlons clair : les écologistes s'opposent fermement à ces baisses. En effet, les collectivités territoriales ont besoin de ressources, parce que l'action publique territoriale de proximité est plus nécessaire que jamais en cette période où s'exacerbent les sentiments d'exclusion, de relégation et d'abandon.

Il n'en résulte pas qu'il ne faille pas réaliser des économies. Au demeurant, toutes les collectivités territoriales ou presque se sont lancées dans de telles démarches, traquant les doublons, optimisant leurs dépenses de fonctionnement, renégociant les contrats publics et mutualisant des services. La recherche d'économies est bénéfique lorsqu'elle conduit à une utilisation plus rationnelle de l'argent public et, partant, à des redéploiements de moyens améliorant l'efficacité de l'action publique. La limite, la ligne rouge, ce sont les baisses de crédits qui aboutissent à une diminution du service au public : cela n'est pas acceptable !

Si le maintien d'autres dotations de l'État contrebalance encore pour l'instant la baisse de la DGF dans un certain nombre de communes – je pense en particulier à la dotation de solidarité rurale, la DSR –, l'inquiétude des élus locaux, dont plusieurs orateurs se sont déjà fait l'écho, reste forte, car nous savons que la diminution des dotations va se poursuivre. Le président de l'Association des maires de France l'a souligné avant moi ; je ne puis que souscrire ce soir à une grande partie de son analyse sur ce sujet.

L'Observatoire des finances locales a constaté la baisse des investissements publics locaux que nous redoutions : en 2014, les investissements du bloc communal ont reculé de 9,6 % et ceux des départements de 4,2 %, même si ceux des régions ont augmenté de 2,8 %. La Cour des comptes, dans son rapport du mois d'octobre dernier sur les finances publiques locales, s'est également inquiétée de la diminution des investissements publics locaux, dont nous savons tous qu'ils représentent près de 70 % des investissements publics.

De fait, ce recul de l'investissement local est un coup dur pour l'ensemble de notre économie, déjà très fragile ; il signifie moins d'écoles, moins de centres sociaux et moins de lieux culturels, mais aussi moins d'actions en faveur de la transition énergétique, en particulier de la rénovation des bâtiments et de la production d'énergies renouvelables. Il provoque la baisse de l'activité locale et, par voie de conséquence, celle des recettes fiscales perçues sur les entreprises. En somme, la décision de diminuer les dotations aux collectivités territoriales est à l'origine d'un cercle vicieux qui conduit à la récession.

Elle a en particulier des conséquences très dommageables sur la vie culturelle, qui repose souvent sur de petits budgets, qu'il s'agisse de bibliothèques, de petites salles de concert ou d'autres petits lieux culturels. La réduction des budgets de fonctionnement met très vite à mal ces petites structures et entraîne presque immédiatement des conséquences assez graves sur le plan de l'emploi.

Telle est l'analyse que je partage avec le président de l'Association des maires de France. Toutefois, je n'apporterai pas davantage mon soutien à la majorité sénatoriale ! En effet, je relève une contradiction flagrante dans le discours de la droite : d'un côté, elle hurle à l'étranglement financier du bloc communal ; de l'autre, ses dirigeants – tous candidats à l'élection présidentielle – se lancent dans une étonnante surenchère sur le montant des économies budgétaires à réaliser : 100 milliards d'euros, 150 milliards d'euros, on ne sait pas jusqu'où cela ira ! Il lui est difficile de s'ériger en défenseur des budgets communaux tout en préparant l'étranglement financier des communes. La position de la droite me semble totalement intenable et je crains vraiment le pire pour les années à venir !

Par ailleurs, je pense que d'autres pistes peuvent être explorées et qu'une alternative aux coupes budgétaires nettes dans les concours de l'État – même compensées, comme cela sera certainement annoncé tout à l'heure, pour ne pas dire rafistolées par quelques aides ponctuelles comme le fonds pour l'investissement local dont la création a été révélée en septembre dernier – existe.

Ainsi, la question d'une meilleure répartition des recettes de la cotisation foncière des entreprises qui crée actuellement d'importantes inégalités financières entre territoires devra certainement être posée.

Je profiterai du temps de parole qu'il me reste pour engager un débat sur plusieurs de mes propositions qui permettra de ne pas nous limiter à la défense du statu quo.

Je pense que les communes et les intercommunalités doivent être perçues non comme des entités autonomes, mais comme des territoires s'insérant dans la République. À ce titre, elles doivent porter une part de la responsabilité collective et aider à relever les grands défis nationaux auxquels notre pays est confronté.

C'est le cas, par exemple – faut-il le rappeler ? –, de l'habitat : notre pays a besoin de logements, tout particulièrement de logements sociaux. Compte tenu de cette urgence, les dotations de l'État et le volontarisme des territoires ne devraient-ils pas être beaucoup plus nettement orientés vers le logement social, la mixité et la politique de l'habitat ? Voilà un débat que nous devrions conduire !

La question de la transition énergétique, sur laquelle je voudrais revenir, s'inscrit dans la même logique. Les territoires sont la clé de cette transition : sans eux, il sera impossible de tenir les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Je précise qu'il s'agit de mon couplet en faveur de la COP 21, sans quoi, monsieur Mézard, vous auriez été déçu ! Ce débat renvoie à celui qui s'est tenu hier soir dans l'hémicycle. Vous savez, mes chers collègues, qu'il s'agit d'une question à laquelle je tiens beaucoup et que j'aborde le plus fréquemment possible.

Aujourd'hui, si nous décidions de réduire les dotations de l'État, cela créerait une situation dans laquelle les collectivités territoriales n'auraient pas les moyens de créer les fonds qui leur permettront de s'engager dans la transition énergétique.

Dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, nous avions pourtant créé les « tiers investisseurs », c'est-à-dire une mesure favorisant la capacité d'investissement des collectivités territoriales dans la transition énergétique. Si donc nous réduisions fortement les dotations aux collectivités, celles-ci ne pourraient que moins investir : on s'aperçoit bien qu'il y a une contradiction !

Nous devrions aujourd'hui réfléchir sérieusement à cette question de la mobilisation des finances locales au service de la transition énergétique. Il faudra peut-être faire preuve d'un peu d'imagination. Nous en avions d'ailleurs parlé dans cette enceinte même avec Ségolène Royal : ne pourrions-nous pas créer des budgets annexes, disposer de fonds dont les ressources n'entreraient pas dans le calcul de l'endettement des collectivités territoriales, parce qu'elles seraient à l'origine de retours sur investissement ?

C'est ce genre de sujet que nous devrions étudier collectivement. Cela redonnerait des marges de manœuvre aux collectivités territoriales. Cela leur permettrait aussi de répondre à des défis essentiels et de créer un nombre important d'emplois dans les territoires.

Parfois, je me dis que les écologistes ne sont pas les plus décroissants – même si certains m'en ont encore fait le reproche cet après-midi – et qu'ils ont en vue, sans doute plus que d'autres, une véritable croissance économique !

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite mettre une autre idée sur la table, afin de trouver des recettes pour le bloc communal. Pourquoi ne pas imaginer – comme cela a été défendu par les réseaux européens des collectivités territoriales voilà quelques années – une dotation globale de fonctionnement additionnelle climat qui serait alimentée par la mise en enchère des permis d'émission de gaz à effet de serre – il paraît que les recettes liées à ces permis qui tombent directement dans les caisses de l'État vont augmenter – ou par la contribution carbone que le Sénat a décidé de réévaluer ?

Dès lors que nous avons fixé dans la loi relative à la transition énergétique l'obligation pour toutes les intercommunalités de mettre en place un plan climat adossé aux engagements internationaux de la France – je ne suis même pas sûr que toutes les intercommunalités l'aient encore intégrée – et que nous avons créé, dans le cadre de cette même loi, des systèmes extrêmement simples de comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre dans les territoires, nous pourrions très bien imaginer un mécanisme dans lequel ce sont les territoires qui s'engagent le plus en matière de réduction des émissions qui bénéficieraient de ces ressources.

C'est ce type d'idées qui permettraient d'obtenir des recettes, de la dynamique et de l'activité. Il s'agirait également d'un puissant levier pour mener à bien la transition énergétique.

Plus généralement, je crois que la lisibilité de la DGF et des dotations de l'État est aujourd'hui extrêmement faible. Les maires m'ont souvent fait part de leur véritable besoin de mieux comprendre le rapport entre les politiques qu'ils mènent et les recettes qu'ils perçoivent. Il importe par conséquent de réfléchir sur ce point : en ce sens, l'engagement d'une véritable réforme de la DGF afin de la rendre lisible et solidaire nous semble nécessaire.

Néanmoins, je rejoins Claude Raynal lorsqu'il déclare qu'il est difficile de conduire une telle réforme. Si tout le monde est favorable à la réforme, en réalité, au-delà des postures, le refus d'une véritable péréquation entre riches et pauvres réapparaît toujours assez rapidement ! Et je ne vous parle pas, mes chers collègues, de la réforme des bases locatives ! Nous manquons aussi d'une réelle vision de l'articulation entre les divers types de territoires. Quels sont les effets entre grandes métropoles et territoires ruraux ? Quelles sont les dynamiques entre ces territoires ? Je n'ai malheureusement pas le temps d'ouvrir un tel débat.

Je ne répéterai pas les propos qui ont été tenus auparavant : compte tenu de ce qui s'est passé ces derniers jours, nous en sommes aujourd'hui à la réponse aux enjeux de sécurité. Toutefois, il nous faudra répondre demain à la question des territoires et à celle de l'exclusion. Je n'ai pas besoin de développer ces sujets, car je rejoins tout à fait ce qu'a dit Marie-France Beaufils.

Pour conclure, je le rappelle, la dépense publique n'est pas une mauvaise chose ; elle est nécessaire à une société en état de marche dont elle constitue l'un des socles ! Il convient en effet de se souvenir que la plupart des pays de cette planète rêveraient d'une augmentation de leurs dépenses publiques et d'outils financiers pour leurs territoires.

Crédit photo : ©Sénat/S.Kerlidou

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