Projet de loi biodiversité, 2ème lecture au Sénat. Intervention de Ronan Dantec au nom du groupe écologiste, 10 mai 2016.

M. le Président, M. le président de la Commission, M. le rapporteur, Mme la Secrétaire d’Etat,

Mes chers collègues,

Lors de la discussion en commission, un amendement, non retenu, proposait de supprimer le mot « reconquête » du titre du projet de loi biodiversité. Ce n’était pas absurde car, effectivement, plusieurs amendements adoptés ont en partie vidé le projet de loi de cette ambition, malgré les signaux d’alerte sur l’effondrement de la biodiversité, comme la baisse massive des populations de passereaux ou le fait que les trois quarts des habitats naturels en France sont considérés en état de conservation défavorable. De toute évidence, malgré l’urgence, ce projet de loi est ainsi encore jugé démesuré dans son ambition par un certain nombre de sénateurs et, en commission, nous avons par exemple supprimé le principe de non-régression dans le code de l’environnement, ou encore la précision selon laquelle les mesures de compensation visent un objectif de zéro perte nette de biodiversité.

Ainsi, d’amendements en amendements, nombre de sénateurs, principalement de droite, il faut bien le reconnaître, et heureusement pas toujours majoritaires, ont dessiné une vision qui ne considère toujours pas que la préservation de la biodiversité est un enjeu majeur pour notre propre avenir, notamment pour notre alimentation, notre santé et notre développement économique, mais bien que la nature reste ce monde hostile qu’il s’agit de repousser aux lisières de la civilisation, de ne garder que pour quelques activités secondaires de loisirs, en se félicitant donc d’avoir éradiqué les loups, les ours et les mauvaises herbes sur les trottoirs.

Dix ans après le Grenelle de l’Environnement, ce rapport atavique à la nature trouve donc encore ici à s’exprimer. « L’environnement, ça commence à bien faire » est une musique à laquelle certains restent sensibles, surtout quand elle est reprise par de puissants chœurs de lobbies pour lesquels l’enjeu immédiat de leur propre business sera toujours prioritaire sur l’intérêt général.

L’exemple des néonicotinoïdes l’incarne. Nous connaissons aujourd’hui, par des travaux scientifiques qui ne sont plus contestés, leur toxicité, pour les abeilles bien sûr, mais aussi pour la santé humaine. Le coût de leur utilisation est considérable et ne se limite pas à la production de miel. C’est toute la pollinisation qui est concernée, avec une baisse de production de fruits par exemple. La responsabilité du législateur est donc bien de préserver l’intérêt général, ce qui passe par leur interdiction rapide, sans pour autant nier l’impact sur les activités agricoles existantes. Plusieurs propositions d’amendements dessinent un compromis acceptable, avec des dérogations à cette interdiction rapide, notre collègue Nicole Bonnefoy en présente un, mais nous pouvons encore craindre que le Sénat ne cherche ici qu’à retarder les échéances, sans considération pour leurs effets négatifs globaux.

La taxation de l’huile de palme est un autre de ces sujets qui disent le poids des lobbies. Les gouvernements indonésien et malaisien se sont légitimement inquiétés de nos décisions audacieuses lors de la première lecture au Sénat, nous les avons rencontrés. Il ne s’agit pas de balayer leurs arguments, leurs propres enjeux de développement doivent aussi être considérés ; et je me méfie toujours de nos simplismes, de notre capacité à nous mobiliser pour exiger la protection des lions et des orangs-outangs à l’autre bout du monde sans être capable de construire nos propres consensus pour relâcher quelques ours dans les Pyrénées. Mais, pour autant, il est aberrant de se retrouver avec des huiles de palme moins taxées que nos productions locales, comme l’huile d’olive par exemple, et de ne pas chercher à développer des filières écologiquement responsables et certifiées. Car ce sont bien aussi nos propres consommations qui détruisent la planète, et développer une consommation mondiale responsable fait aussi partie de nos responsabilités de législateurs. L’Assemblée avait trouvé un bon compromis, mais le Sénat l’a supprimé. Par compréhension des arguments des pays producteurs peut-être, mais aussi, probablement, voire encore plus, parce que nos géants de l’agro-alimentaire veulent continuer à disposer d’une matière première bon marché pour leurs biscuits et autres productions, et là encore sans se soucier, pour beaucoup d’entre eux, de tout enjeu de biodiversité.

Le débat politique environnemental reste probablement le plus schizophrénique, entre multiplication des envolées lyriques sur l’avenir de nos enfants et petits-enfants, et mobilisation permanente pour que rien ne change, de tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ont une activité à défendre, qui les céréaliers, qui l’agro-business, qui la pêche en eau profonde, qui les chasses traditionnelles... la liste est sans fin. Là où il faudrait trouver les compromis pour faire évoluer rapidement les pratiques en accompagnant leur évolution, c’est quasiment toujours autour du fait de repousser en permanence les échéances que se construit au final une grande coalition du refus. Il y a néanmoins une exception à ce tableau sombre : le Sénat a avancé sur le préjudice écologique.

Pourtant, la gravité des crises environnementales est telle que c’est bien notre système économique traditionnel qui risque de se désagréger, et on en a déjà devant les yeux les premières manifestations : des crises des réfugiés en Europe aux incendies gigantesques du Nord du Canada, c’est même tellement l’actualité que nous ne le voyons pas. Tout immobilisme est aujourd’hui coupable, cette loi est un outil modeste pour amorcer ce sursaut. Ne nous en privons pas. En tout état de cause, le groupe écologiste votera contre le texte du Sénat s’il apparaît trop en retrait par rapport au texte de l’Assemblée nationale, mais nous avons encore deux jours pour montrer notre compréhension des enjeux, assumer notre part de responsabilité face à des désastres annoncés.

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