Ronan Dantec est un Breton qui peut sembler à contrecourant. Le sénateur écologiste, auteur d’un rapport sur la question, défend envers et contre tout l’écotaxe. Élu nantais, il s’oppose à Jean-Marc Ayrault, appelant à la disparition des Pays de la Loire ou affirmant l’inutilité du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
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Vous êtes assez critique par rapport au mouvement des Bonnets rouges ?
Je comprends l’inquiétude et la désespérance sociale qui s’expriment, et la capacité de mobilisation collective est une force de la Bretagne, mais cette floraison de drapeaux bretons ne doit pas masquer l’affaiblissement de la réflexion collective en Bretagne. Nous avons par exemple une réelle difficulté à intégrer l’émergence du fait urbain. Cette absence de projet partagé a été masquée depuis vingt ans par la force des mobilisations militantes sur la langue ou l’environnement. Cela apparaît maintenant assez clairement, notamment avec les discours des Bonnets rouges, mais ce n’est pas nouveau. J’ai été effondré par le succès de la pétition de Jean Ollivro, « l’appel pour l’équilibre urbain de la Bretagne ». C’était une pétition contre les grandes villes bretonnes. C’est hallucinant. Le fait que 75% des Bretons habitent en ville et que les métropoles tirent le développement économique n’a pas été intégré ! C’est un peu comme si on vivait encore avec l’image d’une région de ports de pêche et de bourgs ruraux. La Bretagne a quand même plusieurs grandes villes, trois ont ce nouveau statut de métropole, c’est une chance ! On en est encore à Théodore Botrel, une vieille constante de l’histoire intellectuelle de la Bretagne conservatrice : les filles qui partent à la ville sont perdues, la ville c’est le mal. En plus, aujourd’hui, la ville, c’est le lieu d’adaptation à la mondialisation. Être contre la métropole, c’est finalement être contre la mondialisation : c’est le côté Mélenchon. Il y a donc bien aujourd’hui une forme d’objet intellectuellement non-identifié, le Botrelo-Mélenchonisme…
Le fait que la Bretagne soit une région urbaine est donc une chance ?
Nous n’avons pas été capables de raconter une histoire qui correspond à la réalité bretonne, celle de grandes villes qui structurent l’ensemble de l’espace breton, et qui ont permis aujourd’hui à la région d’être classée dans les cinq ou six grandes régions françaises en termes de richesse, de dynamisme économique, avec un chômage plus faible que la moyenne. Or, on transforme une chance en objet de peur et d’affrontements, autour du « mur Nantes-Rennes ». Mais je ne suis pas pour une acceptation d’une Bretagne de grandes villes qui s’étaleraient dans les campagnes. L’étalement urbain est un drame breton. J’insiste aussi sur le débat clé à mener sur l’immigration en Bretagne, autour de l’attractivité de ces pôles urbains. Nous gagnons des familles, notamment des classes moyennes avec enfants, qui n’ont pas par définition eu de culture bretonne dans le biberon. Quelle identité bretonne urbaine vont-elles porter ?
Vous avez annoncé que vous vouliez sauver l’écotaxe ?
Les seuls gagnants de la mobilisation bretonne sur l’écotaxe sont les céréaliers de la Beauce et la grande distribution. Les Finistériens se sont mis au service de la Beauce. Pourquoi ?
Les entreprises de la région, notamment Produit en Bretagne, disaient que cette taxe allait peser lourdement sur leur chiffre d’affaires, que c’était une forme d’impôt sur le handicap ?
La Bretagne, le Finistère, a pris de plein fouet la fermeture de plusieurs grandes entreprises de main d’œuvre, d’où cette angoisse légitime. Cette crise était pourtant annoncée depuis longtemps. Et plutôt que d’analyser les responsabilités bretonnes – tout le monde savait qu’on allait en arriver là ! – au lieu de savoir pourquoi la région a toléré le jusqu’au boutisme de Doux, de Tilly, l’écotaxe a permis de faire dériver le débat. Au lieu de parler de notre responsabilité dans l’évolution du modèle agricole breton, on l’a joué Célib années 50. C’est à la limite de l’escroquerie intellectuelle ! Alors que le problème n’est pas de même nature ! On a évité ainsi de se poser les vraies questions et de mettre le doigt là où ça fait mal.
Quelles sont les vraies questions ?
C’est l’avenir d’un modèle agroalimentaire de production de masse, en grande difficulté dans la mondialisation, notamment parce qu’énormément lié à des importations d’aliments aux prix plutôt orientés à la hausse. Des difficultés sont nées aussi de concurrences déloyales au niveau européen, particulièrement les salaires dans les abattoirs allemands. Le sauvetage de Gad, si tant est qu’il était possible, nécessitait d’abord une pression contre le dumping social allemand. Paradoxalement, le renchérissement des coûts de transport était plutôt une bonne chose ! Parce que si le transport est cher, on transforme sur place. L’écotaxe était plutôt une solution pour sauver Gad !
La vraie question est de se mobiliser pour l’amélioration des infrastructures. Sur les transports, la difficulté finistérienne est connue. Il faut accélérer les travaux de la RN 164, de Rennes à Carhaix, et surtout l’offre de mobilité TGV au départ de Brest et Quimper ! Les enjeux sont là. Comme tout ça est financé par l’écotaxe, la planter au niveau national ralentit les investissements de transport en Bretagne.
Cette mobilisation a quand même permis de remettre sur la table un certain nombre de dossiers : la décentralisation, la charte des langues régionales…
C’est vrai. On a été un certain nombre à dire à Matignon : une partie de la réponse se trouve aussi sur l’identité, la langue. Derrière la mobilisation des Bonnets rouges, il y a autre chose que l’écotaxe, c’est le refus permanent et scandaleux de la reconnaissance culturelle. On en était conscients. On l’a dit, Ayrault l’a compris. Je pense que l’écotaxe a servi de catalyseur à une inquiétude plus générale et légitime, mais si on réfléchit bien, la Bretagne a besoin de l’écotaxe. Le gain en investissement sur la mobilité de désenclavement est bien supérieur au coût pour quelques filières. Aujourd’hui, c’est un milliard d’euros d’investissement qui ne vont pas être réalisés ou financés par les impôts sur le revenu ! Les exonérations obtenues par la Bretagne étaient globalement satisfaisantes. Le Lot est plus enclavé que le Finistère ! Donc réformer l’écotaxe oui, mais la supprimer non !
Le mouvement des Bonnets rouges manque donc de propositions ?
On verra le mois prochain mais aujourd’hui, à part être au service de la droite conservatrice, de la FNSEA, et de quelques grands lobbies nationaux de la distribution, on ne voit pas bien où il débouche. La question clé en Bretagne aujourd’hui, c’est la coopération entre les grandes villes bretonnes et les villes moyennes, entre l’est et l’ouest de la Bretagne. On est dans une région très fracturée. Le drapeau breton sert à masquer ces fractures lourdes. On porte à l’extérieur l’idée de la Bretagne, mais à l’intérieur, les gens s’affrontent du matin au soir. Il faut sortir de cette situation. Et la priorité, c’est le dialogue entre Brest et Nantes. Il ne faut pas laisser s’installer un rapprochement Nantes-Rennes qui ne soit pas contrebalancé. C’est la responsabilité des deux villes. Mais il faut aussi que les Brestois jouent cette carte. C’est aussi un axe Saint-Nazaire-Brest. On a vu sur les énergies renouvelables, sur l’éolien, une totale compétition entre Saint-Nazaire et Brest, là où on aurait dû avoir création de filière commune. En ce sens, le découpage administratif joue. Joël Batteux (maire de Saint-Nazaire) et Jacques Auxiette (président des Pays de la Loire), opposés à la réunification, ont joué l’affrontement avec Brest plutôt que la coopération.
Vous avez fait un communiqué appelant à la disparition des Pays de la Loire ?
Les Pays de la Loire n’ont pas fonction à survivre à la réduction du nombre des régions françaises. C’est très clair. Mais je crains le retour du débat stérile entre réunification de la Bretagne d’un côté, fusion Grand Ouest de l’autre. Je rappelle que déjà sous Pompidou, c’est parce que les élus n’étaient pas d’accord sur la taille de la future région qu’il n’y a pas eu redécoupage. Il ne faudrait pas qu’on retombe dans le même panneau. Moi, je plaide pour que chaque département de la région des Pays de la Loire décide de son avenir. C’est la seule solution. Il faut un processus démocratique à l’échelle des départements. Angers est en train de renforcer son axe avec Tours. Des sénateurs de la région Centre sont venus me voir en disant que ça les intéresse de créer une région Val de Loire. Le Mans est dans la même logique, avec Tours et Angers. Mais quand on discute avec les sénateurs mayennais, c’est pour évoquer le rapprochement avec Rennes ! Les Vendéens, honnêtement, je ne sais pas. La vraie question stratégique qui nous est posée c’est : est-ce qu’on accepte de se lancer dans un processus démocratique dont on ne connaît pas le résultat, sachant que cela peut déboucher sur une Bretagne un peu élargie, ou on reste dans un débat stérile qui se terminera par un statut quo ? Les dernières déclarations d’Auxiette en faveur de la fusion grand ouest, et de Le Drian, strictement sur la Bretagne historique, vont dans ce sens, aucun des deux ne souhaite aujourd’hui que les choses bougent. Je le réaffirme, l’enjeu prioritaire, c’est bien Nantes et Rennes dans la même région. Ce serait la réaffirmation en Loire-Atlantique de l’identité bretonne, donc globalement son renforcement et non sa dilution !
Jean-Marc Ayrault, sur France Inter, a dit oui au redécoupage, mais pas chez lui. «On ne prend pas des bouts de région pour les coller à d’autres. Ce sont des questions sérieuses», a-t-il précisé…
Ca m’a évidemment agacé… Jean-Marc Ayrault a eu tort de tenter de refermer le débat d’autant qu’il a favorisé le rapprochement entre Nantes et Rennes. C’était complètement illisible par rapport à la déclaration d’Hollande. Mais je ne crois pas qu’il s’opposera s’il y a un consensus sur le processus démocratique. Son souci constant, c’est de ne pas se braquer avec les socialistes des Pays de la Loire. S’il y a un vrai processus démocratique, je ne vois pas qui pourrait s’y opposer !
Il y a eu tellement de rendez-vous manqués, d’espoirs déçus…
Qui a mis sur la table l’idée de lancer un processus démocratique à l’échelle de l’ensemble des départements ? Quasiment personne ! Hollande dit : il y a trop de régions. Celle-ci fait partie de celles qui doivent disparaître, Balladur l’a dit avant. Simplement, elle disparaît comment ? C’est la question ! Les Bretons ne peuvent pas arriver en disant : voilà la carte. Ils ne peuvent pas décider pour les autres ! Il faut demander aux uns et aux autres : qu’est-ce que voulez ? Et je suis persuadé que personne ne veut d’un Grand ouest ! Et si on finit à six ou sept départements, on aura quand même progressé fortement.
Êtes-vous pour une régionalisation renforcée ?
Ayrault a dit un truc fort dans son discours à Rennes : schéma prescriptif d’aménagement du territoire. Cela veut dire que les régions auraient les capacités législatives pour imposer. Je soutiens ceux qui veulent que la Bretagne ait plus de pouvoir. Mais arrêtons de dire que tout cela est une affaire parisienne où les Bretons n’ont pas leur mot à dire. Le président de l’association des départements de France s’appelle Claudy Lebreton, président des Côtes-d’Armor. Le président de l’association des communautés d’agglo, c’était Daniel Delaveau, maire de Rennes. Et la ministre, c’est Marylise Lebranchu, de Morlaix ! C’est bien aussi les Bretons qui n’ont pas été capables de se mettre d’accord ! Il faut quand même le dire à la fin ! Marylise Lebranchu s’est beaucoup battue pour renforcer les pouvoirs régionaux. Elle s’est heurtée à tous les lobbys, communaux et départementaux ! Les Bretons étaient au cœur du débat sur la loi de décentralisation. Eux-mêmes ne se sont pas mis d’accord !
Vous êtes aussi opposé au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?
Oui, et là, je suis d’accord avec Christian Troadec. Je comprends son analyse sur l’aéroport, je la partage. Le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pose d’abord d’énormes problèmes démocratiques : c’est quand même le projet d’un État arrogant qui passe en force sur tous les processus de débat public, et ça c’est inacceptable. Mais au-delà de mon opposition sur le fond à ce projet, écologiquement et économiquement absurde, je pense qu’il participe de la fracture territoriale entre l’est et l’ouest breton. C’est clair que ce projet n’est soutenu que par les milieux économiques de la Loire-Atlantique, et de la Bretagne sud jusqu’à Lorient. Ce n’est pas l’aéroport du Grand Ouest, il dessine un espace réduit à deux ou trois départements. Les Angevins ne le soutiennent pas, les Finistériens et les Vendéens sont contre. L’alternative, c’est de créer une plate-forme unique Nantes-Brest. Et de mettre en place une navette pendulaire entre les deux aéroports, en développant les offres de charter ou de lignes européennes des deux plates-formes de manière coordonnée.