Ronan Dantec, est chef de file du groupe écologiste sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dont l’examen a commencé cet après-midi au Sénat.
Vous trouverez ci-dessous le texte de son intervention en ouverture du débat.
Au cours des débats, qui s’étendront au moins jusqu’à jeudi soir, le groupe écologiste présentera plus de 100 amendements, dont un certain nombre a reçu un avis favorable en commission aujourd’hui, notamment:
- mise en place de plans d’action ou de mesures de protection renforcées pour toutes les espèces présentes sur le territoire français classées « en danger critique » et « en danger » de la liste rouge mondiale de l’UICN ;
- non brevetabilité du vivant, non seulement des produits végétaux et des animaux issus de procédés essentiellement biologiques mais aussi de leurs parties et composantes génétiques ;
- consultation du comité régional de la biodiversité dans le cadre de l’élaboration du Schéma régional d’aménagement du territoire (SRADDET) ;
- étendre le champ d’intervention de l’Agence française de la biodiversité (AFB) à l’ensemble des milieux marins, y compris les zones placées sous la juridiction de l’Etat, le domaine public maritime et le plateau continental ;
- participation des fondations reconnues d’utilité publique ayant pour objet principal la protection de l’environnement au CA de l’AFB.
Intervention de Ronan Dantec sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
Mme la Ministre, M. le rapporteur,M. le Président de la commission,Chers collègues,
Au moment d’entamer, enfin, près d’un an déjà après la première lecture à l’Assemblée nationale, la discussion sur ce projet de loi biodiversité, je ne peux qu’exprimer mes craintes quant à la nature du débat que nous allons connaître.
Nous ne pouvons en effet que craindre, au-delà de discours généreux sur l’importance de la biodiversité, les coalitions entre tenants d’une agriculture toujours plus shootée aux produits phytosanitaires, porte-voix des défenseurs du droit de chasser sans contrainte, et défenseurs de grandes infrastructures qui font marcher le BTP, que donc ces coalitions ne transforment le Senat en caisse de résonance de cette petite musique de « l’environnement, ça commence à bien faire », ici reprise en chœur.
Il faut je crois, Mme la Ministre, beaucoup d’abnégation pour tenter de faire avancer ce pays dans la voie d’une approche raisonnable des questions de la protection de la nature, tant ce pays, plus que d’autres, semble rechigner à considérer la biodiversité comme un enjeu majeur de politiques publiques, nourrissant le déni des conséquences désastreuses d’un effondrement de cette biodiversité, socle pourtant de notre alimentation, de notre santé et bien sûr de notre climat.
Pour n’en prendre qu’un seul exemple, il suffit de comparer la situation de l’ours en France et dans les pays voisins, en Italie ou en Espagne, où il est un étendard des campagnes de promotion touristique. Presque partout en Europe, les populations sont aujourd’hui plutôt en progression, 7% de plus en 7 ans dans l’Union européenne. En Grèce, un tracé d’autoroute a même été modifié pour préserver les populations.
Pourtant en France, cet été, deux ours bruns mâles se sont frottés désespérément aux arbres, ont laissé leur odeur un peu partout en espérant rencontrer des femelles qui n’existent plus sur l’ouest des Pyrénées. Ainsi, nous allons débattre d’une loi sur l’enjeu majeur de la préservation de la biodiversité, de la préservation de la faune sauvage, alors que la France, membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies, n’est pas capable de relâcher deux ourses, de trouver en son sein le minimum de consensus pour préserver son plus grand carnivore.
C’est dans ce contexte particulier que cette loi tente de se forger un chemin, dans un pays où certains considèrent encore possible de défendre la chasse à la glu au nom d’on ne sait quelle tradition historique ou culturelle. Je suis presque surpris que nous n’ayons pas eu un amendement sur le retour des pièges à mâchoires.
Pour préserver et reconquérir la biodiversité en France, nous savons globalement quels sont les enjeux. Tout d’abord, préserver le territoire, éviter la perte du sol, trop facilement artificialisé, fragmenté par des infrastructures, les mitages et les étalements d’urbanisation. Je regrette d’ailleurs, nous en avons reparlé en commission, que ce principe de la protection des sols n’ait pas été plus fortement réaffirmé dans la loi.
La cohérence globale de la trame verte et bleue et des continuités écologiques est justement un des véritables progrès apportés ces dernières années à la gestion de la biodiversité en France. Le Schéma régional de cohérence écologique et le Schéma régional d’aménagement du territoire, avec son caractère prescriptif, sont de réelles avancées dans les lois que nous avons adoptées l’année dernière. On ne peut donc que s’inquiéter de certaines déclarations, comme celle de Xavier Bertrand, nouveau président de la région Nord-Pas-de-Calais–Picardie, de remise en cause du SRCE, outil pourtant clé de préservation de la biodiversité. Nous voyons donc bien avec cet exemple inquiétant que le combat n’est pas encore totalement gagné…
Espérons qu’avec cette loi, avec une vision plus globale et partagée, et ce sera un des rôles de l’Agence Française de la Biodiversité, nous réussirons à gagner définitivement cette bataille culturelle, tant certaines avancées restent encore fragiles. Cette fragilité se retrouve notamment dans les moyens de l’agence dont certains orateurs ont avant moi souligné les faiblesses. De même le maintien de deux polices de l’environnement différentes, dépendant de deux agences, est une aberration au moment où nous insistons tous sur la rationalisation des moyens de l’action publique.
Dans les combats encore à mener, la question de la compensation est centrale. Nous savons que pour certains aménageurs, les principes « Eviter, réduire, Compenser » se transforment en « surtout éviter et réduire toutes mesures de compensation ». La loi devra aller vers l’obligation de résultat en termes d’équivalence écologique, j’espère que le débat au Sénat permettra d’avancer sur ce point et de définir des mesures de suivi et de contrôle efficientes, l’enjeu étant bien d’éviter au maximum d’avoir besoin de compensation.
Je ne reviens pas dans cette courte intervention sur d’autres enjeux. Les agressions chimiques restent une autre des grandes raisons de perte de biodiversité, et le débat sur les néonicotinoïdes devra intégrer les dernières recommandations de l’ANSES sur leur dangerosité, mon collègue Joël Labbé y reviendra toute l’heure.
La non-privatisation des ressources naturelles, le refus de la brevetabilité à tout va spoliant les communautés traditionnelles de leur savoir-faire est un enjeu important, mais Marie-Christine Blandin aura l’occasion de proposer des amendements d’encadrement.
Chers collègues, cette loi porte plusieurs avancées, et je remercie Mme la Ministre de son écoute, qui a déjà permis à l’Assemblée d’intégrer des progrès importants mais, nous le savons, elle est encore imparfaite pour répondre à l’enjeu, qui est de stopper la perte du vivant, de trouver l’équilibre entre activités humaines et préservation des écosystèmes. Nous n’avons pourtant pas le choix. Si nous ne trouvons pas cet équilibre, c’est bien notre avenir que nous menaçons. Peu de débats disent autant la difficulté de se dégager du court terme, voire parfois de la prochaine échéance électorale. La commission du Développement durable, avec son rapporteur Jérôme Bignon, qui a beaucoup travaillé, a souvent amélioré le texte et justement regardé le long terme. Essayons donc de poursuivre dans cette voie, et de faire que nos deux ours célibataires ne se morfondent plus dans la solitude des Pyrénées françaises.