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Qu'attend-on des écologistes? Ils se posent eux-mêmes la question, ce vendredi soir, lors d'un débat organisé aux Journées d'été d'EELV, à Bordeaux. 40 ans après René Dumont, quelle est leur valeur ajoutée dans le débat politique?

Article de Marie Simon, publié le 22/08/2014 sur l'express.fr

"Il paraît que le temps va devenir orageux à Bordeaux... Mais n'y voyez aucune connotation politique", s'empresse d'ajouter Ronan Dantec. Le député de Loire-Atlantique participe jusqu'à samedi aux Journées d'été d'Europe Ecologie Les Verts (EELV), où le livre de l'ex-ministre Cécile Duflot occupe le devant de la scène médiatique, pendant que militants et élus planchent sur des questions plus existentielles. Comme celle de ce vendredi soir, par exemple: "Qu'attend-on des écologistes?"

Oui, 40 ans après René Dumont et les débuts de l'écologie politique en France, à quoi servent-ils sur l'échiquier politique national? Qu'apportent-ils au débat? "Pendant que la mer monte, le niveau baisse chez nous, regrette l'eurodéputée Karima Delli. L'écologie politique est florissante partout en Europe et dans le monde... Mais en France, le parti semble asphyxié et coupé des réalités." Dans les médias, en effet, quand les Verts prennent la parole, c'est d'abord pour (rayez les mentions inutiles, le cas échéant):

Raconter leur "désillusion" après deux ans de participation à un gouvernement de gauche, comme Cécile Duflot;
Affirmer que la place d'EELV est plutôt au gouvernement... après avoir poussé les ex-ministres EELV vers la sortie, comme Jean-Vincent Placé;
Dire que la formation est en crise de post-adolescence ou manque cruellement de maturité, comme Dominique Voynet ou Yves Cochet;
Expliquer pourquoi ils claquent la porte d'un parti où les débats se résument trop souvent à des luttes de personnes, comme Marie-Christine Blandin.

Le départ de cette dernière, il y a quelques semaines, est d'ailleurs "un très mauvais signal" aux yeux de Karima Delli, eurodéputée qui fut son assistante. "Elle m'avait montré que l'écologie pouvait s'adresser aux classes populaires, en parlant avec elles de la vie quotidienne concrète, des premiers besoins comme le logement et l'alimentation, ainsi que du mieux-vivre. Elle fait partie de gens de conviction qui quittent malheureusement le parti, comme Daniel Cohn-Bendit et Noël Mamère."
"Personne ne fait rêver..."
Et parmi ceux qui restent, les questions de personnes parasitent la vie interne d'EELV. "Il faut que nous dépassions enfin les écuries pour définir une ligne politique lisible, cohérente et audible. Nous pensions y être arrivés lors du dernier Congrès qui a désigné Emmanuelle Cosse à la tête du parti, mais nous n'y sommes pas encore parvenus", regrette l'ex-eurodéputée Sandrine Bélier.

Pire, un jeu de rôles s'est instauré entre, notamment Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé, focalisant le débat sur la seule question de la participation au gouvernement de Jean-Marc Ayrault puis de Manuel Valls. Une question qui n'intéresse que le microcosme, à en croire bon nombre d'écologistes lassés de devoir commenter les dernières manoeuvres politiciennes de la "Firme", comme Noël Mamère les surnomme...

Résultat, "personne ne fait rêver", résume Yves Cochet en soulignant ce paradoxe dans le Journal du Dimanche: les citoyens "se disent l'écologie oui, les écologistes non". Victoire à la Pyrrhus pour les écologistes qui, en 40 ans, ont réussi à imposer leurs thématiques sans s'imposer eux-mêmes. Et encore... "Les Verts sont pour une bonne part responsables de l'avancée des idées sur l'écologie. Mais il ne faut pas oublier le rôle des associations de défense de l'environnement", nuance Daniel Boy, spécialiste des écologistes au Cevipof, interrogé par La Croix.
La Conférence sur le climat, rendez-vous clé fin 2015

Alors que peuvent apporter aujourd'hui les écologistes dans le débat politique? Quelle est leur valeur ajoutée? Dans l'immédiat, "notre rôle va être d'infléchir la politique gouvernementale avant la Conférence sur le climat en décembre 2015", explique Ronan Dantec. Un rendez-vous clé pour lequel les écologistes veulent peser. "Il y a toujours une part de jeu de rôles, bien sûr, entre ceux qui font pression dans les médias et ceux qui travaillent les textes de l'intérieur au Parlement. Nous aurons un moment de vérité dans quinze mois", avant de passer aux traditionnelles questions d'alliances pour les élections législatives et présidentielle.

Une perspective qui irrite déjà Karima Delli et quelques-uns de ses camarades qui signent une tribune dans Libération pour dire non à "l'écologie politique au rabais". "Arrêtons d'être un simple satellite ou un vassal du PS, proposons une vraie alternative en travaillant avec les ONG, les scientifiques et les syndicats", lance l'élue. Un cavalier seul qui, jusqu'à présent, n'a pas permis à EELV de faire des étincelles au niveau national, comparé aux scores honorables que les écologistes enregistrent aux niveau local et européen.
Ceux qui assument une croissance faible

Mais Ronan Dantec voit aussi un objectif à plus long terme pour son parti, propulsé de rôle secondaire à premier rôle sur la scène politique: participer à une "recomposition profonde de la gauche traversée actuellement par un clivage entre productivistes et écologistes. EELV pourrait fédérer ceux qui assument une croissance faible tout en mettant en place les transitions nécessaires et en conservant les solidarités".

"Certains voudraient recréer la gauche, mais il faudrait déjà reconquérir notre identité, avertit Sandrine Bélier. D'autant qu'on nous annonce que même le FN veut se positionner sur les questions écologiques désormais!" Pour l'ex-eurodéputée EELV, la clé du salut est tellement simple qu'elle devrait sauter aux yeux: "C'est l'écologie. Il faut que nous démontrions que les questions écologiques ont un impact direct sur les questions économiques et sociétales, et que cette voie de développement est la seule façon de sortir de la crise. C'est là notre valeur ajoutée." Petit rappel si certains, à Bordeaux, l'avaient oublié...