L'examen du projet de loi sur la délimitation des régions a lieu en ce moment au Sénat. Il réduit le nombre de régions et fait évoluer les procédures de modification des limites territoriales (rattachement d'un département à une région, fusions de collectivités etc). Ronan Dantec est chef de file pour le groupe écologiste sur la réforme territoriale. Il défendra 20 amendements visant principalement à assouplir les possibilités de modifications de limites territoriales et améliorer la démocratie locale.

A cette page, retrouvez les amendements écologistes portés par Ronan Dantec.

Le texte de son intervention dans la discussion générale :

Madame la présidente, Monsieur le ministre, Mes chers collègues,

M'inspirant d'une remarque de M. le ministre, je m'écarterai sciemment du texte que j'avais préparé pour mieux tenir compte de nos derniers échanges avec le Premier ministre et les prises de position des uns et des autres, le tout remis en perspective.

On peut être à peu près d'accord, me semble-t-il, pour dire que la situation, ce soir, est relativement simple. Nous avons maintenant de grandes régions, qui ne bougeront plus beaucoup, et, surtout, des départements qui sauvent très bien leur peau, si vous me permettez l'expression, pour la raison que les élus communaux, qui ne voulaient pas hériter des compétences sociales des départements, les ont finalement soutenus.

La perspective n'est donc pas celle d'une disparition à relativement brève échéance des départements, mais plutôt celle de leur maintien. Et l'on ne s'achemine probablement pas non plus vers la coexistence de trois ou quatre systèmes départementaux différents. Par ailleurs, nous avons des intercommunalités dont la taille pourrait se trouver plus réduite – sur ce point, la porte a été ouverte à un assouplissement.

Mais je me tourne vers le Gouvernement : attention, monsieur le ministre, à ce que la montagne n'accouche pas d'une souris ! Les citoyens de ce pays risquent d'aller très vite à la conclusion fâcheuse que tous ces débats n'auront finalement pas abouti à grand-chose : les départements ? On les retrouve. Les intercommunalités ? Elles ne sont pas vraiment plus grandes. Il n'y a bien que pour les régions que cela change, puisque leur nombre diminue, peu, du reste.

À nous donc de tenir un discours plus enthousiaste et plus résolu sur l'intérêt de cette réforme qui se poursuivra, nous l'avons dit cet après-midi, avec l'examen du texte de Marylise Lebranchu.

Je voudrais maintenant vous livrer quelques réflexions, sur la base de ce qui précède. D'abord, concernant la carte, on peut considérer que l'on a six ou sept régions qui font à peu près consensus ou qui, du moins, ne suscitent pas d'opposition. Certaines n'avaient sans doute jamais imaginé qu'elles puissent se retrouver « mariées » en octobre de cette année, mais on ne constate pas, globalement, d'animosité : tout le monde, ou presque, est prêt à se lancer.
Restent les cas, plus compliqués, de trois ou quatre régions sur lesquelles porteront essentiellement les débats, même si les propos de M. le ministre font bien sentir que les lignes bougeront assez peu.

Je m'arrêterai sur deux situations vraiment particulières, sinon bizarres. Cela a été très peu dit, mais la grande bizarrerie de cette carte, c'est que l'ouest de la France ne bouge pas : nous avons trois régions – Bretagne, Pays de la Loire, Centre – qui demeurent inchangées.

Le ministre Bernard Cazeneuve a pourtant bien insisté à l'instant sur l'enjeu majeur, vital pour les territoires français, que constituent des régions plus grandes et adaptées à la compétition libérale internationale. Mais le Gouvernement, qui a proposé des cartes et des fusions, a considéré que la région Centre pouvait demeurer telle quelle, sans métropole, et que les régions Bretagne et Pays de la Loire pouvaient rester distinctes. Or je rappelle que ce sont précisément les deux seules régions à avoir déjà fusionné leurs universités...

Pour autant, si l'État a effectivement évité ainsi d'aller au-devant des problèmes, je ne veux pas le stigmatiser à l'excès ! En effet, cette situation est d'abord de la responsabilité des élus de l'Ouest, qui n'ont pas été capables de se mettre autour d'une table pour trouver une réponse à une situation assez complexe, il est vrai. Entre ceux qui voulaient la Bretagne historique et ceux qui voulaient la fusion, il fallait un vrai travail en commun, ce qui n'a pas été fait.

Les grands élus de l'Ouest sont donc responsables de ce statu quo assez préjudiciable. Songez que nous avons un axe d'aménagement Nantes-Rennes qui impacte l'ensemble du territoire, mais sans qu'aucun schéma prescriptif ne l'englobe !

L'avenir dira si le raisonnement développé à l'instant par Bernard Cazeneuve est juste. En termes économiques, les petites régions se trouvent aujourd'hui, dans l'ensemble, en situation de faiblesse. Je note que la région Pays de la Loire convoque une réunion d'urgence ce mois-ci en raison de la forte baisse des dotations au titre de son contrat de projets État-région. Quid, demain, de la région Centre ?

Tout le monde, ici, parle d'égalité territoriale, mais encore faudrait-il analyser – au cours des prochains mois, des prochaines années – ce qui restera de cette égalité des chances lorsqu'il s'agira de faire du lobbying au niveau européen... Où sera l'égalité des chances entre des régions comprenant dix ou douze départements et d'autres n'en réunissant que quatre, avec des moyens différents, y compris dans le rapport avec l'État, qui est aussi, parfois, un rapport de force...

Cela ne traduit pas une logique d'égalité territoriale, même si l'on considère que la diversité des territoires français – dont il faut évidemment tenir compte et je suis le premier à défendre cette diversité – s'oppose à la formation systématique de grandes régions de taille comparable.

Au fond, je crois que la sagesse serait de donner du temps au temps. La situation n'est pas obligatoirement appelée à se prolonger, une porte a été ouverte – ne serait-ce qu'avec le nom de la région Centre, qui deviendrait Centre – Val-de-Loire – et plusieurs possibilités sont sur la table. L'une d'entre elles, que le Gouvernement avait écartée, ne voulant s'en tenir qu'aux fusions de régions, consistait à créer deux grandes régions, l'une sur l'axe ligérien, l'autre autour de la Bretagne et de l'Atlantique. Cette possibilité est toujours sur la table, et il faudra y revenir. La loi ne doit pas figer pour cinquante ans le découpage territorial français !

Face à cette diversité française qui mérite donc des réponses diversifiées, je trouve qu'il y a tout de même encore beaucoup d'idéologie dans le discours de ceux qui s'opposent à toute diversification des compétences et des modes de fonctionnement.

À cet égard, la question alsacienne est révélatrice de la difficulté assez spécifiquement française à considérer que l'on peut avoir des réponses différentes tenant compte de la réalité des territoires. C'est très bien de prendre l'exemple allemand, et cela a été fait cet après-midi encore. Mais justement, en Allemagne, certaines régions se réduisent à la taille d'une ville. Considérer que Strasbourg perdra son statut de capitale parce qu'elle appartient à une petite région, c'est donc nier l'exemple allemand.

La diversité européenne est bien plus grande ! Ainsi, quand on a une adhésion aussi claire des élus régionaux, des élus départementaux et du peuple, qui s'est exprimé par référendum, même si l'un des deux départements n'avait pas voté favorablement, il faut faire confiance à ce que dit le territoire et, en l'occurrence, donner à l'Alsace le statut de collectivité territoriale unique.

Si nous n'y parvenons pas à l'occasion de la présente réforme, nous donnerons l'image d'une France figée idéologiquement, incapable d'accepter la diversité de ses territoires et de forger des réponses un peu complexes.

Aujourd'hui, si les propos tenus par Manuel Valls cet après-midi m'inquiètent quelque peu, je suis davantage troublé par ceux de Bernard Cazeneuve ce soir. J'y perçois le retour d'une forme de verrouillage, d'une conception technocratique de la construction administrative française. On revient presque au temps de Serge Antoine, pour ceux qui se souviennent de la manière dont les circonscriptions d'action régionale et les régions ont été conçues voilà à peu près cinquante ans. La France et le monde ont évolué : on ne peut plus fonctionner ainsi.

Quant à la rigueur intellectuelle de l'État, disons-le clairement, elle est souvent à géométrie variable. C'est la raison pour laquelle nous demandons plus de souplesse. Au sein de la commission spéciale, y compris en première lecture, nous avons essayé de trouver des compromis ou des visions communes. À cet égard, je souscris aux propos tenus par Henri Tandonnet.

Pourquoi évoquer sans cesse une instabilité, une « boîte de Pandore » qui n'existe pas ? Il s'agit simplement de trouver l'organisation territoriale permettant de libérer les énergies et de respecter la dynamique des territoires.

Ainsi, seules les souplesses du dispositif permettront de trouver une solution à terme, et pas seulement d'ici à la fin de l'année 2016 ! Pourquoi nous limiter dans le temps, alors que de nouvelles régions vont émerger et que le territoire change en permanence ?

Oui, il nous faut trouver les dispositifs permettant de forger peu à peu une construction territoriale française qui corresponde au mieux à l'intérêt des habitants, aux situations de dynamique économique, ainsi qu'au respect des identités culturelles et historiques.

Le premier élément est effectivement le droit d'option départemental, que nous avons très clairement inscrit dans le texte en première lecture, en adoptant un amendement défendu par M. Jacques Mézard et soutenu par le groupe écologiste, selon lequel le département et la région d'accueil se mettent d'accord, le territoire quitté n'ayant pas vraiment son mot à dire.

Un tel dispositif a été fortement remis en cause par l'Assemblée nationale. La commission spéciale y est revenue, en réduisant le pouvoir de veto de la région quittée. Toutefois, certains amendements témoignent encore de la volonté de faire marche arrière, en fixant à 50 % et non plus à 60 % la proportion de la population nécessaire pour que la région quittée puisse s'oppose à l'initiative. Pour notre part, nous refuserons tout renforcement de la capacité d'opposition de la région quittée.

Contrairement à ce que l'on entend trop souvent, le droit d'option n'est pas le problème de la Loire-Atlantique. Non, le problème tient au fait que Nantes et l'ensemble du département ne souhaitent pas rejoindre la région Bretagne sans leur aire d'influence. Tel est la difficulté sur laquelle butent aujourd'hui les élus de l'Ouest. Toutefois, dans d'autres départements, le droit d'option peut jouer, et il convient donc d'introduire une certaine souplesse.

Il faut également faciliter la fusion des départements. Sur ce point, je considère que le débat avance, comme en témoigne la conclusion de l'intervention de Manuel Valls cet après-midi. Une telle évolution est aujourd'hui à l'œuvre en Savoie. Nous pourrions même assister à certaines constructions correspondant à des identités culturelles et historiques, mais à l'initiative de départements et non pas de régions. Une telle hypothèse n'a peut-être pas été suffisamment explorée. Se dire que, demain, on aura moins de régions et moins de départements est aussi une manière de rationaliser le fonctionnement administratif français. Sur ce point, il faut avancer encore plus. Selon moi, ce sujet, qui n'était pas, au départ, au centre du débat, prend une importance de plus en plus grande. Il nous faudra y revenir.

Mais je vais plus loin.

L'année dernière, nous défendions, avec Hélène Lipietz, l'idée d'un couple région-intercommunalités. Que n'avons-nous pas alors entendu dans cet hémicycle ! Or, aujourd'hui, avec la loi Lebranchu, nous y arrivons.

De même, lorsque j'évoque le bicamérisme, je sens bien que nous, écologistes, sommes un peu en avance sur notre temps ! Toutefois, les choses évoluent très vite.

Le bicamérisme dont je parle existe ailleurs en Europe. Il s'agit d'avoir deux chambres, l'une dotée d'une majorité élue au suffrage universel direct, à la proportionnelle – le scrutin régional a fait globalement ses preuves –, et une autre représentant les territoires. Une telle organisation permet de répondre à une question très présente dans nos débats : comment concilier des axes clairs de politique régionale – c'est le conseil régional, élu au suffrage direct, qui les définirait – et assurer la représentation, dans leur diversité, des territoires, surtout si la région résulte, demain, de la fusion des départements ? Pour y parvenir, il n'est peut-être même pas nécessaire de changer la Constitution ! Voilà ce à quoi nous pourrions travailler. Nous, écologistes, défendons, pour les grandes régions, une vision bicamériste.

Pour conclure, j'en reviens à la question du référendum. Ne pas considérer que les citoyens ont leur place dans ce débat, c'est tout de même assez étrange. Je viens d'un département où la question est extrêmement présente dans le débat public et médiatique. Dans ces conditions, pourquoi sénateurs et députés refuseraient-ils toute initiative populaire référendaire permettant de la trancher ? Selon moi, c'est une autre vraie bizarrerie du débat !

Par conséquent, si l'intervention de M. le Premier ministre m'a laissé sur ma faim, celle de M. Bernard Cazeneuve m'a particulièrement inquiété. Permettez-moi de reprendre, mes chers collègues, l'image utilisée cet après-midi pour illustrer nos questionnements : allons-nous franchir la rivière ou bien rester au milieu du gué ?

J'ai l'impression que, finalement, vous n'avez pas envie de quitter la rive actuelle, celle d'un certain modèle de fonctionnement français, allergique à la diversité, confondant égalité et unicité, une culture française administrative et politique qui n'est pas un atout dans un monde en mouvement !

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