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Intervention de Ronan Dantec au nom du groupe écologiste dans le débat sur le thème : « La mise en oeuvre de la transition énergétique en France, un an après la loi n° 2015-992 du 17 août 2015, afin de pérenniser notre modèle énergétique, de garantir notre indépendance énergétique et notre compétitivité économique, tout en poursuivant des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre » (demande du groupe Les Républicains).

Monsieur le Président, Madame la secrétaire d’Etat, Chers collègues,

Je voudrais tout d’abord commencer par féliciter le groupe Les Républicains et tout particulièrement mes amis Jean-Claude Lenoir et Ladislas Poniatowski pour le choix du thème de ce débat. Nous vivons en effet un moment historique.

Entre le 7 et le 11 mai 2016, le Portugal a eu uniquement recours à l’éolien, au solaire et à l’hydraulique pour couvrir l’ensemble de ses besoins en électricité. C’est d’autant plus notable qu’en 2013, ce pays tirait encore 23% de son électricité du nucléaire importé, 13% de l’hydraulique, et à peine 10% de l’éolien et du solaire. Très dépendant des énergies fossiles jusqu’à récemment, le Portugal a fait le choix d’investir massivement dans l’éolien et l’hydraulique et il a réussi. Ancien pays importateur d’électricité, il devient lui aussi de plus en plus exportateur et c’est bien ce nouveau paradigme qu’il convient aujourd’hui d’aborder lucidement.

En Allemagne, les énergies renouvelables ont battu des records en 2015, année où le renouvelable (solaire, hydraulique, éolien...) a couvert plus d'un tiers de la consommation d'électricité outre-Rhin, à hauteur de 32,5% contre 27,3% en 2014. Quant à la production éolienne terrestre, elle se hisse à 78 térawattheures, soit un bond de 50% par rapport à 2014. Au passage, la consommation d'électricité en Allemagne a légèrement augmenté l'an dernier dans le sillage d'une année plus froide que la précédente. Et 2016 sera probablement encore meilleure que 2015. Le 8 mai 2016, l'Allemagne a produit 95 % de son électricité avec des énergies renouvelables. Les quelques 50 gigawatts de consommation de l’Allemagne ont ainsi été quasiment totalement couverts par cette production, avec plus de 16 gigawatts de solaire.

Permettez-moi aussi d’indiquer qu’au niveau mondial les investissements en production électrique renouvelable ont mobilisé, en 2015, 286 milliards de dollars d’investissements, soit plus du double de ceux réalisés dans les centrales à charbon et à gaz. Je ne parle même pas de l’investissement en nucléaire qui est totalement négligeable par rapport aux investissements mondiaux dans les renouvelables.

Ce développement inéluctable des renouvelables n’est pas sans conséquences. Le jour du pic de production renouvelable en Allemagne que je viens d’évoquer, le prix d’échange de l’électricité s’est établi à un niveau négatif : -97€ le MWh entre 13h et 16h, et jusqu’à -130€ entre 14 et 15h.

Dans une Europe de plus en plus interconnectée, cette évolution du modèle énergétique européen impacte très fortement le modèle ancien énergétique français, qui économiquement ne tient plus. Cela doit faire consensus entre nous.

L’extrême gravité de la situation financière d’EDF et les conséquences de notre retard dans notre capacité à faire évoluer le système énergétique français sont telles que je tremble aujourd’hui très sincèrement pour le service public à la française si nous continuons à vivre dans ce refus du monde réel.

L’endettement d’EDF s’élève déjà à 37 milliards, et le mur d'investissements auquel le groupe doit faire face apparait aujourd’hui très clairement infranchissable : le grand carénage des centrales nucléaires en premier lieu, dont le coût pourrait atteindre entre 50 milliards d'euros - c’est le chiffre avancé par EDF – et 100 milliards d'euros - selon la Cour des comptes - , le rachat de l'activité réacteurs d'Areva aujourd’hui en faillite virtuelle pour 2,5 milliards, et l’investissement de 18 milliards de livres sterling dans l’EPR d'Hinkley point qui a déjà provoqué la démission du directeur financier du groupe.

Ce n’est pas faisable sauf à vendre les bijoux de famille. RTE aujourd’hui et demain probablement ERDF, l’activité distribution donc, qui est le socle de l’égalité à la française au niveau de l’électricité...

Notre problème principal est donc celui de l’effondrement du prix de gros sur le marché de l’électricité – passé d’une moyenne de 42€ le mégawatheure (MWh) fin 2014 à 28€ le MWh aujourd’hui – alors qu’EDF considère qu’à moins de 37€, son modèle économique ne fonctionne plus.

Ca ne passe donc plus. Pour un vrai libéral, ou du moins pour un lycéen qui aurait fait au moins quelques mois de cours d’économie : la seule issue est de réduire la production (surtout que la loi de transition énergétique prévoit bien que la production électrique française n’augmentera plus). Et pour supprimer les surproductions, il faut fermer des productions de base, pas des productions intermittentes. Et quelles possibilités de fermetures en production de base avons-nous ? Nous n’avons que des centrales nucléaires. C’est-à-dire que si nous voulons revenir dans un système économique vivable pour EDF, il faut fermer des tranches nucléaires. Sans remontée des prix, EDF ne survivra pas. Dans ce contexte, continuer à se mobiliser pour retarder la fermeture de Fessenheim est un dangereux combat d’arrière-garde.

En conclusion, il y a quelques années, vingt ans peut-être, je serais intervenu en incarnation de l’écolo brun et barbu, fier de son panneau solaire auto-construit accroché sur son toit, au risque des quolibets des ingénieurs et des économistes sérieux. Nous avons certes un peu blanchi mais surtout le monde a beaucoup changé. Je ne sais pas si vous en êtes conscients chers collègues mais aujourd’hui, et j’en suis tourneboulé, c’est moi qui représente les puissances industrielles, celles qui brassent des centaines de milliards d’euros, qui créent des millions d’emplois, 8 millions selon le dernier rapport de l’IRENA (Agence internationale des énergies renouvelables) et donc je m’adresse avec bienveillance aux derniers représentants d’une production énergétique marginale, en l'occurrence le nucléaire – j’ai connu ça dans ma jeunesse – en leur disant : évoluez, ouvrez les yeux, car sinon la France va avoir de grosses difficultés.