La COP22 qui ouvre aujourd’hui ne doit pas être une COP d’effets d’annonces mais une COP de décisions concrètes sur des mécanismes précis, notamment en matière de financement.
Article de Alice Mérieux et Nicolas Stiel en ligne ici sur Challenge.fr
Un an après l’accord de Paris, la conférence sur les changements climatiques s’ouvre aujourd’hui à Marrakech. L’un des enjeux essentiels: préciser les modalités du traité international, notamment financières, pour passer à l’action.
A Marrakech, les négociateurs de la COP22 pousseront (probablement) un soupir de soulagement demain. Ce 8 novembre, ils espèrent recevoir la confirmation que Donald Trump ne sera pas le prochain président des Etats-Unis : le candidat républicain voulait revenir sur la ratification du fameux accord de Paris, signé, de haute lutte, il y a un an tout juste dans l’euphorie de la COP21 par 175 pays. Ce traité international engage le monde à maintenir le réchauffement de la planète « bien en deçà de 2 degrés » d’ici à 2100. Ratifié par la majorité qualifiée des pays (voir graphique), le texte est entré en vigueur dès le 4 novembre. Deux à quatre ans plus tôt que prévu. Même l’eurodéputé Vert José Bové en convient : « La COP21 a eu un impact important. La ratification dix mois après, c’est exceptionnel. Pour Kyoto, il a fallu attendre sept ans. Grâce à la COP, le climat est désormais au centre du débat. »
Victoire ! Et ce n’est pas l’étrange déclaration récente, et qualifiée de « pitoyable » par le climatologue Jean Jouzel, du candidat Nicolas Sarkozy – « Il faut être arrogant comme l’homme pour penser que c’est nous qui changeons le climat » – qui cassera l’élan : la COP22 (du 7 au 18 novembre) va permettre de fignoler les modalités qui permettront de respecter l’objectif de Paris.
Car il faut passer à l’action. Et ça commence. Le directeur de l’Institut du développement durable et des relations internationales, Thomas Spencer, le reconnaît : « L’accord de Paris est bien un facilitateur et un accélérateur de l’action pour le climat. » Dans son event tracker qui recense, depuis le 1er janvier, les événements dans le monde en faveur et en défaveur de la lutte pour le climat, l’European Climate Foundation a comptabilisé 79 mauvaises nouvelles, pour 188 bonnes.
Désormais, les énergies fossiles sont vraiment dans le collimateur. Bertrand Barré, professeur à l’Institut national des sciences et techniques nucléaires, constate bien que la part des fossiles dans le mix énergétique mondial est passée de 79 à 81 % en quinze ans, « mais sans les COP, c’eût été bien pire ». Sans ce processus, l’accord signé en octobre à Kigali pour éliminer les gaz hydrofluorocarbures (HFC) n’aurait pas non plus vu le jour. « C’est une première avancée, explique José Bové. Pour les HFC, il n’y a pas d’enjeux géostratégiques, c’est donc plus facile que pour le pétrole. »
L’industrie pétrolière s’adapte
Pas facile en effet pour les majors de se verdir, mais elles n’ont plus le choix : leur gros client, le transport, responsable de 23 % des émissions mondiales, a entamé sa mue. Au Mondial de l’auto de Paris, marqué par le récent scandale Volkswagen, l’enjeu était dans tous les esprits ; le secteur aérien vient de se doter d’une norme de certification CO2 et d’un système de compensation du carbone obligatoire en 2027 ; et l’Organisation maritime internationale s’apprête à son tour à présenter un plan d’action. Aussi BP, Shell, Statoil et Total pratiquent désormais des stress tests climatiques pour évaluer leur résilience au « scénario 2 degrés ». Et multiplient les diversifications. Eni dépense 1 milliard d’euros dans le renouvelable, Total rachète les batteries Saft pour un autre milliard, Shell crée une division Energies nouvelles et ExxonMobil cherche des technologies de captage du CO2. Mais c’est encore marginal. Laurence Tubiana, la « championne du climat » pour la France, l’a dit en mai : « Je suis préoccupée par la prospection du pétrole profond en Arctique. » Et les projets d’exploration au Canada, au Qatar, en Russie ou en Iran sont légion.
Si le pétrole pose encore des difficultés, pour le charbon, au moins, la messe semble dite. Et les résultats, tangibles. En mars, la Chine, premier émetteur de gaz à effet de serre, s’est fixé l’objectif de plafonner sa consommation de charbon à 5 millions de tonnes, supposant la fermeture d’un tiers de ses 11 000 mines en activité d’ici à 2020. Le fonds souverain norvégien et l’assureur Axa ont décidé de céder leurs participations dans les entreprises les plus impliquées dans le charbon. Des milliards sont en jeu.
Et Patrick Pouyanné, le PDG de Total, a indiqué vouloir abandonner le charbon pour privilégier le gaz, qui émet deux fois moins de CO2. Jean-Marc Jancovici, consultant, associé fondateur de Carbone 4, précise l’ampleur de la tâche : « Il faut diviser par trois les émissions de CO2 d’ici à 2050. A cette date, il faudra qu’il n’y ait plus de centrales à charbon. Ce qui veut dire, à l’échelle de la planète, éliminer l’équivalent de 30 fois le parc nucléaire français. » Pas facile…
La France épargne le charbon
A commencer par la France, où le gouvernement, le 21 octobre, a renoncé à surtaxer les centrales à charbon, pourtant clairement condamnées lors de la COP21. Le marché du prix du carbone, réclamé par de nombreux acteurs économiques dont le Prix Nobel Jean Tirole, n’a, lui, pas été mis en place. Evacué de la COP21, le sujet pourrait revenir sur la table à Marrakech. Il est vrai que le système est efficace : en Grande-Bretagne, son effet fut radical. Londres a institué l’an dernier une taxe carbone de 22,50 euros la tonne de CO2. Résultat : les volumes de gaz utilisés ont crû de 60 % et le charbon s’est retrouvé hors-jeu. D’après les derniers chiffres de la Banque mondiale, la cause avance doucement. Le prix est encore très étalé et, surtout, trop bas. Pour l’instant, le nombre de territoires (pays, régions, villes…) disposant d’un système de taxation du carbone ne couvre qu’un peu plus de 13 % des émissions mondiales. Mais si la Chine passe à l’acte en 2017, comme annoncé, ont passera d’un coup à 23 %.
Dans une note parue en octobre, Carole Mathieu, chercheuse à l’Ifri, pose de façon très claire les enjeux de la COP22 : « Deux solutions : soit l’innovation avance à grands pas et permet de sortir du marché les solutions polluantes, soit l’assistance financière des pays développés est suffisante pour garantir l’accès aux solutions bas-carbone. » Du côté des miracles énergétiques, la première des solutions, la recherche avance et les énergies renouvelables explosent. En mai, le gouvernement allemand a adopté un plan d’1,1 milliard d’euros de promotion du véhicule électrique. Le Congrès américain a bel et bien voté la prolongation des crédits d’impôt à l’investissement et à la production des énergies renouvelables.
100 milliards aux émergents
Quant à la Chine, outre sa contribution à l’offre solaire par la baisse de ses coûts de production, elle est embarquée dans l’énergie éolienne à une allure inégalée : avec deux turbines à vent fabriquées chaque heure, deux fois plus que son premier rival, les Etats-Unis. L’Inde aussi a un plan ambitieux, même si le Premier ministre, Narendra Modi, ne veut pas réduire le charbon. L’Agence internationale de l’énergie vient de relever ses projections : en 2021, les renouvelables représenteront 28 % de la production mondiale d’électricité, contre 23 % fin 2015. « Cela reflète les évolutions majeures survenues dans les politiques énergétiques à travers le monde telles que l’adoption de l’accord de Paris », a déclaré son porte parole, Jad Mouawad.
Côté financement, ça se précise aussi. Pour le sénateur EELV Ronan Dantec, c’est tout l’objet de la COP22 : « On n’est plus maintenant dans les grandes affirmations. A Marrakech, on va parler mécanismes, techniques, tuyauteries. La principale tuyauterie étant bien sûr la tuyauterie financière, l’accès au financement. » L’OCDE a publié le 17 octobre la feuille de route des pays développés pour mobiliser les 100 milliards de dollars en 2020 promis aux émergents en 2009 lors de la COP de Copenhague. Selon ces travaux, 66,8 milliards de dollars de financements publics seront disponibles en 2020, c’est 26 milliards de plus que le niveau atteint en 2013- 2014. C’est encore insuffisant, Oxfam réclamant que ce montant soit quadruplé. Mais des fonds privés doivent s’y ajouter. Et cela peut marcher. « Dans le monde financier, il y a une dynamique significative », affirme le consultant Jean- Marc Jancovici.
L’explosion des green bonds
La COP21 avait été secouée par les déclarations de Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, mettant en garde les investisseurs sur leur exposition aux énergies fossiles. Il remet ça dans son dernier discours, « Résoudre le paradoxe climatique », le 22 septembre. Entre-temps, il a monté un groupe de travail dédié à la finance verte au sein du G 20 et doit rendre ses recommandations à la présidence allemande début 2017. Il insiste sur les progrès effectués en la matière avec l’explosion des green bonds, qui devraient doubler cette année par rapport aux 42 milliards de dollars émis en 2015. Mais il y a du chemin à faire.
Selon l’Asset Owners Disclosure Project, 20 % des 500 plus grands investisseurs mondiaux prennent déjà des mesures pour réduire leur exposition aux énergies fossiles. Une bonne nouvelle occultée par la triste majorité, totalement indifférente à la question. D’où le titre de l’étude, « Les hypocrites du carbone ». A l’image du géant BlackRock qui mène une vaste campagne sur l’adaptation des portefeuilles au risque climatique, mais dont l’un des fonds, le BlackRock Emerging Europe Fund, affiche une intensité carbone 50 fois supérieure à celle de l’indice S&P 100 ! Dans une tribune du 14 octobre au Figaro, Jean Jouzel et Laurence Tubiana insistaient : « Malgré les engagements, les résultats se font attendre. » Qui fait écho à celle de Jean-Marc Jancovici au lendemain de la COP21 : « Victoire ! Tout reste à faire. » Toujours d’actualité pour la COP22.