Ce jeudi 15 mai 2025, le sénat se prononçait sur la proposition de loi sur la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, visant à forcer la validité des « arrêtés portant autorisation environnementale en tant qu’ils reconnaissent une raison impérative d’intérêt public majeur », malgré une décision de justice à leur encontre fortement motivée. Le groupe Ecologiste-Solidarité et Territoire, soucieux de l’état de droit, a appelé à voter une motion d’irrecevabilité contre ce texte. Mon intervention en séance :
M. le président, M. le rapporteur, M. le minsitre, chers collègues,
« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Et nul mieux qu’un sénateur connait sa Constitution sur le bout des doigts, faisant toujours sien cette célèbre phrase du Président Larcher « il ne faut toucher à la Constitution que d’une main tremblante ».
Je ne sais pas si la main des auteurs de cette proposition de loi a tremblé au moment de l’écrire ou de la déposer, mais il ne semble pas qu’ils aient eu alors, bien en tête, cet article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, que je viens de citer. Déclaration de 1789 qui est le socle de la Constitution de 1958, c’est même la première phrase du préambule du texte de 1958.
La question qui nous est donc posée ce matin n’est pas « êtes-vous pour ou contre le doublement de la route existante entre Toulouse et Castres par une autoroute payante ? » mais bien « sommes-nous respectueux des principes de la Constitution ? ».
En toute liberté, et de manière très étayée dans son délibéré, le tribunal administratif de Toulouse a considéré par deux jugements en date du 27 février 2025 que ces projets ne répondaient pas à une raison impérative d’intérêt public majeur, telle que définie par la loi, et a donc annulé les deux autorisations environnementales délivrées, d’une part, à la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse – dite « A69 » – et, d’autre part, à la mise en 2×2 voies de l’A680 entre Castelmaurou et Verfeil, autorisations environnementales que la proposition de loi cherche à valider rétroactivement.
Il y avait notamment pour étayer la conviction du tribunal administratif d’une absence claire d’intérêt public majeur, on ne le souligne peut-être pas assez, le fait que la proposition de loi sénatoriale de 2019, votée à la quasi-unanimité ici, visant à faciliter le désenclavement des territoires, précisait dans son article 1, je cite « qu’aucune partie du territoire français métropolitaine continental ne doit être située à plus de 50 km ou de 45 minutes d’automobile soit d’un centre urbain ou économique, soit d’une autoroute ou d’une route express à deux fois deux voies en continuité avec le réseau national ».
Castres étant à 48km de l’A68, c’est Waze qui le dit, et une vitesse de 63 km/heure étant accessible pour la plupart des véhicules, cette liaison ne rentre donc pas dans ces critères prioritaires, et je ne doute pas que les juges du tribunal administratif ont tenu compte, pour forger leur conviction, de cette sagesse légendaire des sénateurs qui n’ont donc pas considérés à la quasi-unanimité, que cette autoroute était une priorité. De plus, je ne peux que souligner que ceux sont notamment des sénateurs de la région Occitanie, j’ai les noms, qui portaient cette proposition.
Difficile donc d’asséner maintenant qu’il faut redonner par la loi et par le Sénat à ce projet une raison impérative d’intérêt public majeur alors que les sénateurs eux-mêmes, parfois les mêmes, n’ont pas cru bon de l’affirmer 6 ans plus tôt, en ne mettant pas Toulouse-Castres dans leurs priorités.
Mais nous ne sommes qu’au début d’un festival de trouvailles législatives à faire sursauter dans leurs tombes les pères de la Constitution et déjà faire saliver d’envie les avocats spécialistes en droit constitutionnel. Prenez par exemple, l’utilisation de la loi de validation pour tenter d’effacer des tablettes la décision du tribunal administratif. Une loi de validation a, historiquement, pour objet de prévenir l’annulation par le juge administratif de certaines décisions entachée d’un vice mineur, et donc éviter une annulation aux conséquences disproportionnées. Prévenir…, ce n’est pas exactement ce qui se passe ici. On détourne donc ici le principe de la loi de validation, en intervenant après la décision du tribunal administratif, et sur un sujet où n’existe, ce n’est rien de le dire, aucun consensus. De nombreux maires notamment ont manifesté leur refus de ce projet. C’est un dossier qui divise politiquement. Et donc utiliser ici une loi de validation, prévue par le législateur comme un texte consensuel pour régler des difficultés spécifiques, est au final un grave précédent. Cela veut-il dire, M. le rapporteur et votre avis nous intéresse, que dès qu’un projet sera annulé par un tribunal, le Parlement déposera une loi de validation ? On voit bien la fuite en avant qui se précise, et l’engorgement à venir du Parlement… Ce n’est pas sérieux !
Une question précise donc pour M. le rapporteur : sur quelle loi de validation de même importance a-t-il pu s’appuyer pour considérer qu’il n’y avait pas là un problème de détournement du principe même de la loi de validation, pourtant assez bien précisé par le Conseil constitutionnel ?
Surtout une loi de validation, par principe, doit respecter la Constitution donc l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et donc respecter strictement le principe de séparation des pouvoirs.
Car là est quand même la question majeure. Intervenir à quelques jours d’une décision de justice par une loi de rectification d’urgence n’est-il pas une grave remise en cause du principe socle de l’article 16 de notre loi fondamentale ? Faut-il aussi rappeler l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui interdit toute ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice ?
La question nous taraude, nous aurions même pu poser la question au rapporteur, avoir son sentiment sur cette urgence à convoquer le Parlement, mais ce n’est pas nécessaire, il nous a déjà répondu. En proposant un amendement supplémentaire qui précise, je cite « sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée », M. le rapporteur, que je salue, nous répond déjà « ben oui, il y a quand même un méga problème, j’ai tenté de colmater la brèche ». Merci pour cette honnêteté qui vous honore, M. le rapporteur, là où des esprits mal intentionnés auraient vu de la fébrilité, voire du bricolage législatif.
Bon, je sais qu’en alertant ainsi certains opposant à l’A69 vont m’en vouloir, mais vraiment chers défenseurs de cette autoroute payante, si vous voulez évitez d’alerter le Conseil constitutionnel pour rien, ne mettez pas vous-mêmes les phrases d’excuse dans le texte. C’est un peu comme si Maradona, après avoir éliminé l’Angleterre d’un but de la main était allé voir directement l’arbitre pour lui dire « t’as vu, j’ai triché mais c’est la main de Dieu ». Je ne suis pas sûr que la Cour administrative d’appel aujourd’hui, le Conseil constitutionnel demain, apprécieront beaucoup l’intervention de la main, même un peu tremblante, du Sénat. Mais bon, je m’égare. Une métaphore footballistique en pays du rugby, ce n’est pas du meilleur goût.
Bon, vous voulez d’autres arguments juridiques. Savez-vous par exemple que le Conseil constitutionnel refuse les lois de validation totale, donc la Cour d’appel, si elle était un peu chafouine de cette intervention du pouvoir politique, aurait même le droit d’évoquer d’autres motifs pour maintenir l’annulation de l’autorisation environnementale. J’espère qu’on vous a informé de cette légère difficulté supplémentaire.
Enfin, comme il me reste un peu de temps, un peu de publicité pour le bassin économique de Castres-Mazamet. Tout d’abord, je cite un document de référence, l’avis du tribunal administratif : « le bassin de Castres-Mazamet ne saurait être qualifié, sur le plan du dynamisme démographique comme étant en situation de décrochage ». Et, je cite toujours : « si le bassin de Castres-Mazamet est le seul de cette importance à ne pas être relié à la métropole toulousaine par une infrastructure de type autoroutière, il résulte de l’instruction qu’il dispose de tous les services des gammes de proximité et intermédiaire, d’un centre hospitalier, de formations primaires à universitaires, d’équipements de tourisme, d’hypermarchés, de laboratoire de recherches, notamment, qui lui permettent une certaine autonomie. [En outre, il bénéficie d’un aéroport national ainsi que d’une gare offrant un service de liaisons quotidiennes avec la métropole toulousaine]. Dans ces conditions, le bassin de Castres-Mazamet dispose de services et d’équipements de qualité, qui, s’ils ne sont pas du niveau de ceux offerts au sein de la métropole toulousaine, ne sont toutefois pas, sur un plan qualitatif, significativement moindres ». Enfin, et fin de citation « si, en moyenne, 10 % du trafic actuel entre Toulouse et Castres correspond à des poids lourds et si 60 % de ces trajets sont professionnels, ils ne concernent que peu d’actifs dès lors que plus de 70 % des ceux-ci résident et travaillent dans le bassin de vie de Castres ».
On aurait presque envie d’y vivre si on n’avait pas cette campagne de dénigrement systématique de l’état du bassin d’emploi de Castres-Mazamet et, de la part des partisans de de l’autoroute A69, ainsi, bien que seule une départementale aussi peu goudronnée que les ribines des courses cyclistes du Tro Blo Leon, relie Castres à la civilisation toulousaine, il ne semble pas au vu des chiffres de l’INSEE, que Castres soit en situation d’effondrement économique et démographique. Nous voilà rassurés.
Bref chers collègues, il n’est pas si urgent de s’engager dans une longue polémique juridique et médiatique sur l’ingérence du politique dans les affaires des tribunaux, il n’est pas opportun de préparer le Sénat à une devenir une chambre spécialisée dans la production de lois de validation, il n’est pas – surtout pas – nécessaire de donner encore un peu plus l’impression que nous gaspillons notre temps en lois de postures plutôt qu’en textes importants pour l’avenir du pays.
En rejetant tout de suite ce texte dangereux et mal ficelé, nous allons gagner du temps et de l’énergie, et évidemment de la sérénité.