Les sénateurs réunis en séance publique mardi 6 novembre 2012 ont adopté le projet de loi sur la participation du public. Tous les groupes politiques se sont prononcés en sa faveur. Le texte, pour lequel la procédure accélérée a été engagée par le gouvernement, doit maintenant être examiné par l’Assemblée nationale.
Le gouvernement a fait adopter un amendement créant le Conseil national de la transition écologique, qui remplacera le CNDDGE (comité national du développement durable et du Grenelle de l’environnement). Il avait été annoncé par le Premier ministre lors de la conférence environnementale le 15 septembre dernier (AEF n°14748). « L’instance sera obligatoirement consultée, de même que le Conseil supérieur de l’éducation dans son domaine. Ses avis seront communiqués au Parlement. Elle comprendra des ONG, des élus, des organisations patronales, des organisations syndicales et des partenaires », indique la ministre de l’Écologie, Delphine Batho.
LE CNTE POURRA SE SAISIR DE TOUTE QUESTION SUR LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
Ce CNTE (article 8) sera consulté sur « les projets de lois concernant à titre principal l’environnement », « les stratégies, schémas et plans nationaux relatifs à l’environnement et à la biodiversité », « les mesures prises en vue de la mise en oeuvre des engagements internationaux de la France, notamment en matière de protection de l’environnement et de biodiversité », et « l’agenda annuel des conférences environnementales et le suivi de leur mise en oeuvre ». Il pourra également « se saisir de toute question d’intérêt national concernant la transition écologique et le développement durable ou ayant un impact sur ceux-ci » et sera « annuellement informé de l’évolution des indicateurs nationaux de performance et de développement durable pertinents pour mesurer l’avancement de la transition écologique ».
Des « formations spécialisées permanentes » pourront être créées. « Les avis du Conseil national de la transition écologique sont mis à la disposition du public par voie électronique » et « transmis au Cese (Conseil économique, social et environnemental), aux Ceser (conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux) ainsi qu’aux organismes intéressés par la transition écologique », précise encore le projet de loi.
LES AUTORITÉS INDÉPENDANTES CONCERNÉES PAR LES CONCERTATIONS
Le gouvernement a fait adopter un amendement modifiant l’article 1er, et donc l’article L 120-1 du code de l’environnement, lequel définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement est applicable aux décisions réglementaires de l’État et de ses établissements publics. Selon la nouvelle version, « la participation du public permet d’associer toute personne, de façon transparente et utile, à la préparation des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, en l’informant des projets de décisions concernées afin qu’elle puisse formuler ses observations, qui sont prises en considération par l’autorité compétente. Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles ce principe est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités de l’État, y compris les autorités administratives indépendantes, et de ses établissements publics ayant une incidence sur l’environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. »
Cette rédaction « fait clairement la distinction entre information et participation, supprime la référence aux ‘parties prenantes intéressées’ -dans l’article 7 de la Charte, il est question du public au sens large- et fait mention des autorités administratives indépendantes dont les décisions sont susceptibles d’avoir un impact sur l’environnement », justifie Delphine Batho. Ainsi, l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) et la CRE (Commission de régulation de l’énergie) seront désormais explicitement concernées.
Autre amendement gouvernemental adopté : la suppression de la nécessité d’adresser les projets de décision à l’ensemble des conseils municipaux concernés, qui avait été adoptée à la demande d’Evelyne Didier (Meurthe-et-Moselle, CRC) en commission. Si elle est « légitime », la proposition est aussi « difficile à mettre en oeuvre », plaide la ministre de l’Écologie : « Lorsque les décisions ont une portée nationale, elle conduirait à envoyer les projets et notes techniques aux 36 000 conseils municipaux pour recueillir leur avis. » Elle ferait en outre « peser sur toutes les décisions concernées un risque contentieux considérable, puisque l’absence de réception par un seul des conseils municipaux serait susceptible de donner lieu à un recours en annulation ».
S’agissant du délai des concertations, que la commission du développement durable avait fait passer à 21 jours par voie postale et à 30 jours par internet (contre quinze jours dans la première version du projet de loi), il est ramené dans les deux cas à 21 jours.
Lors de la discussion générale, Delphine Batho a précisé que d’ici à la fin novembre, « il est probable que le Conseil constitutionnel déclarera[it] inconstitutionnel l’article L. 120-1 ». L’audience publique sur la QPC (question prioritaire de constitutionnalité) présentée par FNE (France nature environnement) est prévue le 14 novembre.
PAS DE GARANT, PAS DE DÉCRET
Au nom du groupe écologiste, Ronan Dantec a échoué à faire adopter un amendement faisant de la CNDP (Commission nationale du débat public) le « garant » de la procédure de participation du public, comme le propose un groupe de chercheurs en sciences humaines (AEF n°15148). Pour justifier son avis défavorable, la rapporteure Laurence Rossignol explique : « Outre que la CNDP n’a pas les moyens de jouer ce rôle, un décret ne saurait réduire le champ d’application de l’article premier. En fait, le garant, c’est le juge administratif… Cette nouvelle procédure comporte une prise de risque, la France n’est pas championne de la consultation du public. Cette prise de risque est partagée entre le gouvernement et le public. Acceptons-la ! »
Ronan Dantec n’a pas non plus obtenu qu’un décret précise les modalités de participation du public : « Je ne suis pas favorable au renvoi au décret pour l’application de l’article 7 de la Charte de l’environnement. D’ailleurs, celui prévu à l’ancien article L. 120-1 du code n’a jamais été pris, ce n’est pas un hasard », lui répond la ministre.
GAZ DE SCHISTE
Contre l’avis du gouvernement, Évelyne Didier obtient la création d’un article additionnel selon lequel « le respect de la procédure prévue par le présent chapitre conditionne la délivrance du permis exclusif de recherches prévu aux articles L. 122-1 et suivants du code minier ». Il s’agit selon la sénatrice, qui réitère son opposition à l’exploitation des gaz de schiste, de « sécuriser la procédure d’information des communes ». « Il n’est pas opportun d’introduire ici cette disposition. Le respect de l’article 7 de la Charte est un enjeu central de la réforme du code minier. Le Parlement y sera associé, je l’ai dit », plaide en vain Delphine Batho.
Hélène Lipietz (EELV, Seine-et-Marne) fait adopter un autre amendement pour que les études et analyses mises à la charge des exploitants d’une ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement) soient disponibles auprès du grand public.
Autre succès du groupe écologiste : une modification de l’article du code de l’environnement concernant l’agrément des associations de protection de la nature (141-1), afin, selon Ronan Dantec, de « renforcer la sécurité juridique des associations agréées » en précisant « la notion de territoire d’activité de ces associations ».
UN SENATEUR « ALLERGIQUE » AUX ORDONNANCES
Le débat a par ailleurs porté sur l’article 7 du projet de loi qui prévoit d’habiliter le gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions relevant du domaine de la loi ayant pour objet de prévoir les conditions et limites de la participation du public à l’élaboration, notamment, des décisions publiques individuelles. « Quel paradoxe de nous retirer, sur un tel texte, notre pouvoir législatif », réagit Henri Tandonnet (UDI, Lot-et-Garonne), qui se dit « allergique » aux ordonnances.
« Bien entendu, toute la commission a été sensible à cette équation orthogonale entre ordonnance et participation. Néanmoins, en raison des délais impartis par le Conseil constitutionnel, des engagements du gouvernement et de sa volonté d’associer le Parlement -ce sera innovant !-, nous lui faisons confiance », répond Laurence Rossignol au nom de la commission. Delphine Batho ajoute : « Je recevrai toutes les associations d’élus pour leur présenter l’architecture du projet d’ordonnance et je mettrai en place un groupe de travail avec elles. Je procéderai de même avec votre commission du développement durable. Je vous donne toutes les garanties : je souhaite la concertation la plus large avec les élus. Je ne me contenterai pas du débat sur le projet de loi de ratification, qui constitue néanmoins un verrou (1). Cet engagement solennel sera tenu. »
« Si vous souhaitez vraiment associer le Parlement, pourquoi lui ôtez-vous l’exercice de son pouvoir traditionnel, celui de légiférer ? », s’interroge au nom du groupe UMP Dominique de Legge (Ille-et-Vilaine). « Ma conception de la responsabilité politique fait que je vous suivrai par solidarité avec le gouvernement, mais pas avec un enthousiasme délirant », indique François Fortassin (RDSE, Hautes-Pyrénées).
Les groupes socialiste, RDSE, CRC, écologiste, et UMP ont apporté leur soutien au texte lors de leurs interventions sur l’ensemble du texte, qui ont précédé son adoption. « Si l’exercice de la participation publique est de plus en plus difficile, il est un mal nécessaire. Telle est la démocratie. Le pouvoir ne nous appartient pas, nous ne le tenons que de l’élection. L’intérêt général doit primer », juge Evelyne Didier. Jean-Pierre Plancade (Haute-Garonne) alerte au nom du groupe RDSE qu’il « faut certes assurer une participation directe, sans pour autant entraver l’activité économique ».